En Afrique subsaharienne, plus de 600 millions de personnes, soit près de deux sur cinq, vivent encore sans accès à l’électricité. Malgré des années d’investissements et des objectifs gouvernementaux ambitieux, l’électrification a à peine suivi le rythme de la croissance démographique. Les progrès ont stagné : en 2023 et 2024, moins de 19 millions de personnes ont obtenu l’accès à l’électricité, contre 23 millions en 2019.
Pour des dizaines de millions de ménages ruraux, l’énergie solaire décentralisée hors réseau reste la solution la plus viable et la plus rentable pour s’alimenter en électricité. La technologie fonctionne. Elle est abordable à déployer, flexible à financer et durable à entretenir. Le problème aujourd’hui n’est pas l’innovation, mais l’accessibilité financière et le financement.
Après des milliards d’investissements dans la transition énergétique, le secteur est confronté à un paradoxe : nous savons comment fournir de l’électricité à chaque foyer, mais les flux de capitaux, les instruments et les structures nécessaires pour passer à l’échelle de manière durable sont encore à la traîne.
Le frein, c’est le prix, pas la technologie
Les ménages sont prêts à payer pour un accès fiable à l’électricité lorsque le service est abordable et équitable. Les données recueillies auprès de millions de clients PAYGo montrent que les taux de défaut de paiement sont systématiquement faibles lorsque les systèmes fonctionnent correctement et que les tarifs tiennent compte des cycles de revenus. Pourtant, les entreprises sont souvent contraintes de gonfler leurs prix pour absorber pertes liées aux fluctuations des taux de change ou les longs retards dans le versement du financement des bailleurs de fonds.
Chaque dollar supplémentaire versé pour compenser un manque d’efficacité prive un autre foyer d’énergie propre. L’écosystème financier doit évoluer pour s’adapter à la réalité économique des ménages, et non l’inverse.
En 2023, moins de 2,5 milliards de dollars ont été engagés pour l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne, soit une fraction de ce qui est nécessaire. Selon la dernière analyse de l’AIE intitulée « Financing Electricity in Africa », les financements privés représentaient moins de 30 % des flux totaux (640 millions de dollars), les sources publiques internationales contribuant à hauteur de près de 1,8 milliard de dollars. Ce déséquilibre freine l’innovation, limite la concurrence et maintient les prix à un niveau élevé.
Construire un système de financement mixte efficace
Aucun outil ne permettra à lui seul d’assurer un accès universel. Une approche mixte et stratifiée est essentielle, permettant d’aligner les incitations entre les investisseurs en capital, les prêteurs et les exécutants.
Les capitaux propres doivent alimenter la croissance et l’innovation produit, tandis que les prêts concessionnels et à impact doivent financer le fonds de roulement et les créances. Le financement basé sur les résultats (FBR) est, quant à lui, sans doute l’instrument le plus efficace pour garantir l’accessibilité financière et doit réduire directement les prix pour l’utilisateur final.
Des mécanismes FBR bien structurés réduisent les paiements initiaux et mensuels, permettant aux ménages à faibles revenus de franchir le seuil d’accessibilité financière – et donc de s’équiper. Lorsqu’il est conçu de manière simple et prévisible, le FBR permet une expansion sans fausser la concurrence ni surcharger les opérateurs.
La liquidité en monnaie locale : le chaînon manquant
Le risque de change reste l’un des obstacles les plus importants et les moins discutés à la croissance. La plupart des entreprises empruntent en dollars ou en euros, mais vendent en nairas, en shillings ou en francs CFA. Lorsque les monnaies locales se déprécient, les marges disparaissent.
Sans partage des risques ni accès à des lignes de crédit en monnaie locale, les opérateurs sont contraints d’ajouter des marges de change à leurs prix. Ce coût est directement répercuté sur le client. Pour remédier à cette situation, il faut une collaboration entre les bailleurs de fonds du développement et les banques centrales afin de créer des facilités de liquidité locales et des mécanismes de couverture partielle. L’électrification ne devrait pas dépendre de la spéculation monétaire.
Un déficit de financement structurel
Pour parvenir à l’accès universel d’ici 2035, l’Afrique a besoin de 15 milliards de dollars par an, soit dix fois plus que les niveaux actuels. Environ 7 milliards de dollars seraient consacrés à l’extension du réseau, 5 milliards aux mini-réseaux et 3 milliards aux systèmes solaires domestiques. Or, les allocations publiques actuelles dans 23 pays d’Afrique subsaharienne ne devraient atteindre que 1,9 milliard de dollars d’ici 2025, ce qui montre à la fois une forte ambition et un manque de financement disponible.
Si les investissements publics restent la pierre angulaire du marché, les apports privés doivent augmenter. Aujourd’hui, six pays seulement, l’Angola, le Kenya, le Mozambique, le Nigeria, le Sénégal et l’Afrique du Sud, captent la moitié de tous les financements destinés à l’accès à l’énergie. Cette concentration limite l’innovation ailleurs et oblige les petites entreprises africaines à lutter pour obtenir des capitaux -risques [ie. les premiers financements, par nature plus risqués]. Le financement par capitaux propres des projets d’accès à l’énergie a atteint 580 millions de dollars en 2023, mais une grande partie de ces fonds a été versée à des acteurs matures sur des marchés établis, laissant les développeurs en phase de démarrage sous-financés.
Ce déséquilibre est insoutenable. Pour atteindre le dernier kilomètre, il faut un écosystème de financement qui récompense l’efficacité opérationnelle, l’appropriation locale et les performances fondées sur les données, et pas seulement l’échelle.
Concevoir le FBR pour un impact à plus grande échelle
De nombreux projets basés sur un FBR ont donné des résultats décevants en raison de procédures de suivi complexes et de retards de paiement. Les modèles les plus efficaces, tels que ceux testés par la Banque mondiale ou Brilho, sont simples, prévisibles et directement associés à des raccordements vérifiés.
L’objectif des FBR n’est pas d’allonger les délais de remboursement, ce qui pèse sur les opérateurs, mais de réduire les coûts pour les clients. Lorsque les FBR récompensent la rapidité, la précision et la responsabilité, elles permettent aux opérateurs de planifier leur expansion en toute confiance et aux investisseurs de se fier aux résultats.
Autonomiser les agents locaux
Malgré la numérisation, la distribution du dernier kilomètre reste une entreprise humaine. Les agents de porte-à-porte restent la colonne vertébrale des opérations hors réseau. Ils sont à la fois des éducateurs, des bâtisseurs de confiance et des premiers intervenants. Les entreprises qui investissent dans la qualité et la fidélisation des agents affichent systématiquement des taux de remboursement plus élevés, un taux de désabonnement plus faible et un impact plus profond sur la communauté.
La technologie peut améliorer leur travail grâce aux paiements numériques, à l’optimisation des itinéraires par l’IA et à l’analyse prédictive, mais elle ne peut remplacer la confiance que créent les relations humaines.
La discipline opérationnelle : la garante d’une croissance durable
C’est la discipline opérationnelle, et non la technologie ou l’image de marque, qui distingue les entreprises qui connaissent une croissance durable de celles qui n’y parviennent pas. La discipline en matière de coûts garantit l’accessibilité financière. La discipline en matière de données renforce la confiance des investisseurs.
La titrisation et le financement hors bilan des portefeuilles PAYGo sont très prometteurs, car ils permettent aux entreprises de recycler leur capital et d’attirer des investisseurs institutionnels. Mais cela dépend de la robustesse des systèmes de données et de la transparence. Lorsque les investisseurs peuvent vérifier les performances de remboursement et la fiabilité des produits, ils investissent à moindre coût, ce qui se traduit directement par une électricité moins chère pour les ménages.
L’énergie solaire hors réseau a déjà transformé la vie de centaines de millions de personnes, mais son plein potentiel reste inexploité. Ce dont le secteur a besoin aujourd’hui, ce n’est pas de nouveaux projets pilotes, mais d’une refonte systémique de la manière dont les flux de capitaux sont orientés vers l’accessibilité financière, la simplicité et l’échelle.
Lorsque les capitaux sont adaptés à la réalité des ménages, que les risques de change sont atténués et que les outils de financement tels que le FBR sont conçus pour avoir un impact réel, l’accès universel est réalisable au cours de cette décennie, non pas comme une aspiration, mais comme une réalité opérationnelle.
Avec une architecture financière appropriée, nous pouvons alimenter en électricité les cent prochains millions de personnes à travers l’Afrique de manière durable, abordable et à grande échelle.
Édité par Marie Beyer.
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