[Série flexibilités] L’IA, agent de flexibilité augmentée

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La transition énergétique bouleverse profondément notre système électrique. Avec l’essor des énergies renouvelables, l’électrification massive de nos usages rend la gestion du réseau de plus en plus complexe et les pics de consommation mettent à mal l’équilibre entre production et consommation. Pour le rétablir, le marché de l’effacement électrique se développe, proposant des solutions d’ajustement de la demande à l’offre. En rendant les équipements électriques plus « smarts » grâce aux algorithmes, il devient, par exemple, possible de moduler la consommation en temps réel, contribuant ainsi à stabiliser le réseau.  

Répartie sur des millions d’appareils, cette flexibilité diffuse a la chance de pouvoir s’appuyer aujourd’hui sur la technologie de l’intelligence artificielle, « ce qui n’était pas le cas il y a dix ans », souligne Thomas Tirtiaux, directeur général d’Elax Energie, spécialiste du pilotage numérique à distance des appareils électriques. 

Créée il y a quatre ans, sa société a déjà équipé, auprès de 80 bailleurs sociaux (Action Logement, CDC Habitat, Régie immobilière de la ville de Paris), plus de 25 000 chauffe-eaux d’un thermostat intelligent, capable de piloter sa température de consigne en fonction des besoins réels du locataire. « C’est un petit boîtier “anti-gaspi” qui se branche en vingt minutes sur n’importe quel chauffe-eau. Il permet de réaliser jusqu’à 120 euros d’économie et de réduire de 25 % la consommation électrique, ce qui soulage d’autant le réseau », explique-t-il. Sans compter qu’en chauffant moins, un chauffe-eau se calcairise moins vite et vit plus longtemps… 

L’IA : une aide à la décision 

Développé en interne, l’outil numérique est d’abord mis en période d’observation pendant deux semaines, afin d’apprendre des usages. À partir des données récoltées, il crée, grâce à un algorithme avancé, le meilleur pilotage du chauffe-eau, en lui envoyant des consignes individuelles, qui tiennent compte de l’historique passé et des contraintes du réseau électrique. C’est tout l’intérêt de l’intelligence artificielle : sa capacité à pouvoir compulser et traiter instantanément, et de manière personnalisée, des millions d’informations en provenance de millions d’appareils…  « L’IA a tout son sens dans la flexibilité. C’est un moyen génial pour créer des algorithmes personnalisés pour des milliers d’usagers, avec des temps de réponse extrêmement rapides. C’est une solution peu onéreuse et une aide précieuse à la prise de décisions », affirme Thomas Tirtiaux. 

Aidée par l’intelligence artificielle, l’augmentation de la capacité de flexibilité du réseau s’impose d’autant plus avec le développement du photovoltaïque et de l’éolien, dans la mesure où ces deux sources d’énergie renouvelable produisent de manière non corrélée aux besoins. « Si on veut les utiliser à leur plein potentiel, sans déstabiliser le réseau, il faut que nos équipements électriques, et notamment le chauffe-eau, puissent au maximum s’adapter à la production », estime le fondateur d’Elax Energie.  

L’enjeu est de taille : la France compte 15 millions de chauffe-eaux en France, ce qui représente une consommation annuelle de 22 TWh, soit 5 % de l’ensemble de la consommation électrique hexagonale, tous secteurs confondus. « Il faut flexibiliser la consommation qui existe déjà, poursuit Thomas Tirtiaux. C’est ce qui va permettre de réduire le coût général de l’énergie et faciliter encore plus l’essor des EnR. Imaginez si l’on arrivait à flexibiliser une partie de la consommation électrique de tous les chauffe-eaux ? On le fait déjà avec le régime des heures pleines et des heures creuses, mais avec l’IA, on peut aller bien plus loin dans le degré de précision et de finesse ».  

Digitalisation du courant 

Opérateur d’effacement agréé́ par RTE depuis juin 2024, Gridfit ne dit pas mieux, la jeune pousse ayant elle aussi mis au point une plateforme logicielle dédiée à la flexibilité́ énergétique diffuse. Sa mission : permettre aux bâtiments tertiaires et résidentiels d’optimiser leur consommation d’électricité de manière intelligente. Sous la marque Tilt Energy, ses ingénieurs développent, depuis trois ans, des algorithmes de prédiction de consommation, capables de piloter et de valoriser de nombreux actifs connectés (thermostats, systèmes techniques de bâtiment ou directement radiateurs, pompes à chaleur, chauffe-eau, bornes de recharge pour véhicules électriques et batteries). 

« Grâce à l’intelligence artificielle, on sait à l’avance ce qui va se passer », assure Thomas Bajas, en charge de développement chez Tilt Energy, que le groupe Leroy-Merlin a sollicité pour la création d’une offre de flexibilité sur son application domotique Enki. « C’est par une meilleure connaissance d’un équipement et de sa consommation que l’on peut faire les bons choix concernant son utilisation. L’IA permet une automatisation à grande échelle de ces choix. Elle est assez impressionnante, car il s’agit d’optimiser des dizaines de milliers de sites, en programmant la consommation de petits objets en fonction de contraintes à chaque fois différentes », ajoute-t-il. 

Accélérateur de la flexibilité du réseau, le pilotage de la demande électrique par l’intelligence artificielle conduit à ce que Xavier Daval appelle la « digitalisation du courant ». Le vice-président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) s’en explique : « La multiplication des usages électriques et l’essor du solaire distribué, combiné à l’autoconsommation, complexifient le travail de la gestion traditionnelle de l’offre et de la demande. L’IA apporte une réponse essentielle à cette nouvelle complexité, en permettant une gestion décentralisée, au niveau des mailles locales, pour optimiser les capacités existantes du réseau, sans recourir à des investissements lourds. Reposant sur la mise ne place de protocoles de communication entre systèmes de production (solaire, éolien), infrastructure (transformateurs) et consommateurs, cette transformation permet une gestion prédictive et adaptative, anticipant les variations pour assurer l’équilibre en temps réel ». 

Consigne de recharge à respecter 

Dans cette perspective, 95 démonstrateurs smart grids, en cours ou achevés, ont donné lieu à des retours d’expériences, publiés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) dans un rapport, en novembre 2024. Comme, par exemple, le projet aVenir, chargé d’étudier le pilotage des IRVE (Infrastructures de recharge pour véhicules électriques) et qui a définitivement conclu à la pertinence de sa participation aux différents mécanismes de flexibilité. 

Développeur-exploitant de centrales solaires en autoconsommation dans le commercial et industriel (C&I), Idex ne manque pas d’imagination en la matière, inventeur d’un petit automate branché sur des ombrières photovoltaïques et capable de piloter les IRVE qui y sont associées. En respectant une consigne stricte : ne recharger qu’à partir du moment où la centrale génère du surplus solaire. Retarder ce moment présente deux avantages : cela permet de valoriser le surplus disponible, qui serait perdu sinon, mais aussi de ne pas trop tirer sur le réseau tôt le matin, au moment où les véhicules étaient habituellement rechargés.  

« C’est assez facile à expliquer, mais pas si facile à faire », prévient Édouard Roblot, directeur de l’activité bâtiment bas carbone chez Idex. En cause : l’hétérogénéité des logiciels des véhicules électriques, que les algorithmes doivent intégrer. « Avec Last Mile Solutions, notre superviseur, on s’est, par exemple, rendu compte que la Renault Zoé, une fois branchée, se mettait en défaut après un test de puissance négatif et ne chargeait donc pas au moment où on relâchait la puissance », décrit-il. Un « bug », auquel l’IA a vite remédié. 

Développée en interne, cette solution intelligente, à moindre coût – de 2 000 à 3 000 euros –, fait désormais partie intégrante de l’offre Idex. « Avec lui, c’est le plein de solaire garanti et quasiment gratuit ! Si, en plus de valoriser un surplus, on peut participer à la flexibilité du réseau, pourquoi s’en priver ? », conclut Édouard Roblot.

FlexReady passe le Bacs

Applicable depuis le 1er janvier, le décret dit Bacs (Building Automation and Control Systems) du 20 juillet 2020 impose aux bâtiments tertiaires de plus de 2 000 m2, pour lesquels le système de chauffage ou de climatisation a une puissance nominale supérieure à 290 kW, d’être équipés d’un système de gestion technique du bâtiment (GTB), module d’automatisation de leur installation électrique. Objectif : optimiser leurs consommations, tout en aidant la flexibilité du réseau.

Dans ce cadre, l’association Think Smartgrids, qui réunit notamment RTE et Enedis, a lancé, en octobre dernier, FlexReady. Il s’agit d’un standard de communication, qui transmet aux Bacs l’évolution du prix de l’électricité au fil de la journée, afin que les bâtiments s’adaptent et réduisent leur consommation. « Une première expérimentation a prouvé que les immeubles de bureaux pouvaient moduler de l’ordre de 10 % de leur consommation au quotidien très facilement, sans aucune perte de confort », estime Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE.

L’installation de 100 000 modules d’automatisation d’ici à 2030 générerait 15 % (jusqu’à 15 TWh) d’économie d’énergie, la capacité de modulation pouvant atteindre 2,5 gigawatts, et jusqu’à 6 gigawatts en cas de signal rouge du dispositif Ecowatt porté par RTE, niveau d’alerte maximal concernant l’état de saturation du réseau électrique.

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