Pour le SIPPEREC, le projet « Hercule » d’EDF est « un hold-up au détriment des collectivités et des usagers »

Share

La presse fait état d’avancées importantes, voire d’accords conclus dans les discussions entre la France et l’Union Européenne sur la réorganisation du groupe EDF, appelé « Hercule ». Le projet serait présenté au parlement en janvier 2021, certains évoquent même la possibilité que la réorganisation intervienne par voie d’ordonnance donc sans débat préalable au Parlement. Élaboré par la direction d’EDF à la demande de l’État, « Hercule » vise à répondre aux problématiques de financement du nucléaire. Face à l’ampleur des chantiers nucléaires à supporter pour le groupe EDF (triplement du coût de construction du nouvel EPR de Flamanville qui n’entrerait en service qu’en 2022 avec 10 ans de retard, grand carénage des centrales nucléaires historiques visant à prolonger leur durée d’exploitation de 40 à 50 ans et enfin la construction d’une nouvelle centrale nucléaire au Royaume -Uni, voire en France), l’État français cherche à offrir au groupe EDF une garantie de recettes sur la vente de l’électricité nucléaire.  

Ainsi, l’État considère qu’il est essentiel de garantir le financement du nucléaire via une garantie sur les tarifs de vente de l’électricité nucléaire (réforme du dispositif ARENH) et un accès aux meilleures conditions d’emprunt, le financement représentant la majorité du coût final de ces infrastructures à très longue durée de vie.  

Une opération visant à céder une partie d’Enedis, les « bijoux de famille » du groupe EDF  

« Hercule » prévoit notamment la séparation des activités d’EDF en trois entités distinctes. EDF « Bleu », détenue à 100 % par l’Etat, regrouperait l’ensemble des activités nucléaires ainsi que le gestionnaire de réseau du transport d’électricité (RTE). Les activités hydrauliques, qui comprennent notamment les barrages, initialement intégrées à EDF « Bleu », seraient finalement logées dans une autre entité, baptisée EDF « Azur » avec un statut de « quasi régie » EDF « Vert » comprendrait les activités commerciales du groupe (la vente d’électricité au consommateur), le réseau de distribution Enedis et les énergies renouvelables (EnR). EDF « Vert » serait ouverte aux capitaux privés, éventuellement en Bourse, dans une proportion pas connue à ce jour.  

Les collectivités, propriétaires des réseaux, souhaitent être parties prenantes de la réorganisation  

Rappelons que les réseaux de distribution d’électricité sont la propriété des collectivités locales. Elles sont à l’origine de leur déploiement avant-guerre, sous la forme de concessions de service public ou de régies. La création d’EDF en 1946 a conforté la place des collectivités locales dans le système de la distribution électrique. Là où des régies existaient, le législateur a préservé l’initiative locale sous la forme d’entreprises locales de distribution (par ex. : Metz, Strasbourg, Grenoble, les départements de la Vienne, des Deux-Sèvres, …) Ailleurs l’exploitation du réseau a été confiée sous forme de concession de service public à EDF (puis à EDF/Enedis). Et les collectivités demeurent autorités organisatrices pour la fourniture de l’électricité aux Tarifs Réglementés de Vente (TRV).  

Créé en 1924 le SIPPEREC, avec plus de 5 % de la consommation électrique française, représente 84 collectivités et près de 4 millions d’habitants de la région parisienne. Ses instances renouvelées à la suite des élections municipales de mars et juin 2020 rassemblent toutes les sensibilités de l’arc républicain. C’est à ce titre d’autorités organisatrices tant pour la distribution que pour la fourniture que nous sommes légitimes à être partie prenante des choix en cours.  

Prix de l’électricité, modernisation des réseaux et développement des énergies renouvelables sont au cœur des préoccupations des élus locaux du SIPPEREC  

Nous avons trois préoccupations essentielles :  

  • Le prix de l’électricité payé par le consommateur final, qu’il soit professionnel (public ou privé) ou simple particulier et la maitrise de l’énergie qui l’accompagne car l’électricité la moins chère est celle qu’on ne consomme pas. D’autant qu’avec la crise sanitaire, la précarité énergétique ne cesse de progresser.
  • La qualité du service et particulièrement la qualité du réseau qui avec le changement climatique (fortes chaleurs, intempéries diverses…) devient un enjeu préoccupant : l’allongement du temps de coupure et des délais de rétablissement pose la question du niveau des investissements sur le réseau, son maintien à un niveau adapté et la pertinence des choix d’investissement notamment pour accroitre la résilience du réseau face aux aléas climatiques.
  • Enfin le développement des énergies renouvelables au plus proche des besoins des consommateurs et leur raccordement rapide au réseau permettant pour celles et ceux qui le souhaitent l’autoconsommation et la création de communautés énergétiques.

L’accord entre la Commission Européenne et le gouvernement français, dans la version connue à ce jour, tourne le dos aux préoccupations et aux compétences des élus locaux en charge de l’électricité :  

  • La hausse des prix de l’électricité est inscrite dans cet accord car il semble déjà acté que le coût du nucléaire sera réhaussé. Ceci aura un impact significatif sur la facture des consommateurs alors même qu’une importante crise économique et sociale se profile. Il est en particulier stupéfiant que ce soient les consommateurs et non l’actionnaire de l’entreprise qui subissent la dérive des coûts de construction de l’EPR de Flamanville (après les déboires de celui construit en Finlande).
  • La qualité de service va se dégrader encore davantage car, avec l’entrée de capitaux privés dans EDF « Vert », Enedis n’aura pas les moyens de financer les investissements nécessaires ; les investisseurs privés demanderont des rendements encore supérieurs à ceux d’aujourd’hui alors que nous jugeons déjà exorbitants les dividendes versés par Enedis à sa maison mère EDF, dividendes qui n’ont fait que croître ces dernières années.

Le service public de l’électricité n’en n’aura plus que le nom.  

Nous demandons solennellement au gouvernement de revoir sa copie et d’associer les collectivités concédantes à cette négociation.  

Si nous n’étions pas entendus, en tant que propriétaires des réseaux de distribution et en charge de l’organisation du service public de la distribution d’énergie, nous serions légitimes pour reprendre en régie la gestion des réseaux locaux, organiser la fourniture des tarifs réglementés de vente et assurer ainsi à tous les salariés concernés le maintien du statut des industries électriques et gazières, comme c’est déjà le cas pour ceux travaillant pour les entreprises locales de distribution existantes  

Aujourd’hui, pour assurer une transition énergétique efficace, les collectivités territoriales, notamment celles en charge de la gestion des réseaux d’énergie veulent que les citoyens-consommateurs qu’elles représentent restent au cœur de la réorganisation du secteur électrique.  

Pour le Bureau du SIPPEREC, Jacques JP. Martin, maire de Nogent-sur-Marne, 1er Vice-Président du Territoire Paris Est Marne&Bois  

A propos de l’auteur :  

Créé en 1924, le SIPPEREC (Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication) est un syndicat mixte ouvert (116 collectivités, 7 millions d’habitants, 5 % de la consommation d’électricité de la France). Partenaire public des collectivités territoriales, le SIPPEREC accompagne, conseille et assiste ses adhérents dans la mise en œuvre de leurs politiques publiques pour les aider à relever les défis de la transition énergétique et du numérique. 

The views and opinions expressed in this article are the author’s own, and do not necessarily reflect those held by pv magazine.

Ce contenu est protégé par un copyright et vous ne pouvez pas le réutiliser sans permission. Si vous souhaitez collaborer avec nous et réutiliser notre contenu, merci de contacter notre équipe éditoriale à l’adresse suivante: editors@pv-magazine.com.