Que faut-il retenir de l’Ordonnance sur l’hydrogène ?

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Prévue par la loi énergie-climat, l’ordonnance n°2021-167 du 17 février 2021 relative à l’hydrogène participe au volet réglementaire de la Stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné présentée par le Gouvernement le 8 septembre 2020. Le texte pose les premières bases législatives pour l’édification d’une filière hydrogène en France, apportant la sécurité et la lisibilité juridiques nécessaires aux investisseurs et industriels. France Hydrogène vous explique sa portée.

Avec la publication de l’ordonnance, l’hydrogène fait sa grande entrée dans le code de l’énergie. Aux côtés de l’électricité, du gaz, de l’énergie hydraulique ou des biocarburants, un nouveau Livre VIII est créé spécifiquement pour toutes les dispositions concernant l’hydrogène.

Cette introduction traduit la reconnaissance faite par les pouvoirs publics du rôle que ce vecteur énergétique doit jouer pour la décarbonation de l’économie et l’intégration des énergies renouvelables. A Bruxelles comme partout en Europe, l’hydrogène est une composante majeure des stratégies vers la neutralité carbone en 2050.

Les mesures prises sont aussi une réponse à un objectif qui est celui de la politique énergétique nationale, à savoir « développer l’hydrogène bas-carbone et renouvelable et ses usages industriel, énergétique et pour la mobilité, avec la perspective d’atteindre environ 20 à 40 % des consommations totales d’hydrogène et d’hydrogène industriel à l’horizon 2030 » (art. 100-4 du code de l’énergie). Et pour cela, l’Etat s’est fixé un objectif de 6,5 GW de capacités d’électrolyse à l’horizon 2030.

Halte aux couleurs, place à la clarté des définitions

Le premier intérêt de l’ordonnance est d’apporter une terminologie claire et lisible de l’hydrogène. Entre hydrogène vert, bleu, turquoise, jaune ou gris, l’approche souvent ambiguë par les couleurs est abandonnée au profit de définitions privilégiant les attributs environnementaux de l’hydrogène.

Respectant un principe de neutralité technologique, les catégories proposées mettent en avant la source d’énergie primaire utilisée ou les émissions de gaz à effet de serre associées. La typologie inclut trois catégories :

  • L’hydrogène renouvelable, produit à partir de sources d’énergies renouvelables et dont le procédé de production respecte un seuil d’émission d’équivalents de CO2 émis par kilogramme d’hydrogène produit. Cette catégorie inclut aussi bien l’électrolyse utilisant de l’électricité renouvelable (solaire, éolien, hydraulique), que tout autre procédé de production recourant à des énergies renouvelables et « n’entrant pas en conflit avec d’autres usages permettant leur valorisation directe » (pyrogazéification ou thermolyse de la biomasse, vaporeformage de biogaz).
  • L’hydrogène bas-carbone, produit à partir de sources d’énergies non renouvelables et respectant le même seuil de kgCO2eq/kgH2. L’électrolyse alimentée par de l’électricité du mix électrique français serait qualifiée, ainsi que les procédés associant des techniques de captage, séquestration ou utilisation du carbone (CSUC) pouvant réduire considérablement les émissions de CO2 en sortie d’usine.
  • L’hydrogène carboné, désigne un hydrogène ni renouvelable ni bas-carbone. Sont regroupées ici les productions par des énergies fossiles, telles que l’hydrogène produit par vaporeformage de gaz naturel (environ 11 kgCO2/kgH2), par gazéification du charbon (20 kgCO2/kgH2) ou encore par électrolyse alimentée par des mix électriques carbonés. Mais aussi potentiellement des productions à partir d’énergies renouvelables qui ne qualifieraient pas au seuil d’émission. Cela pourrait concerner par exemple de l’hydrogène produit à partir de biomasse ou de biogaz, selon la nature des intrants utilisés et l’empreinte carbone associée, ou encore en fonction des fuites de méthane prises en compte en amont.

Restera donc à définir par voie réglementaire le seuil d’émission approprié. Un choix qui se fera en lien avec les discussions européennes autour de la taxonomie verte, et qui devrait être compatible avec un mix électrique décarboné. La méthode de calcul des émissions de gaz à effet de serre des différents procédés de production sera un autre point clef à déterminer, que l’ADEME a déjà étudié.

L’ordonnance inclut également dans son périmètre l’hydrogène co-produit (lors d’un processus de production tiers) et l’hydrogène autoconsommé.

Informer de l’origine de l’hydrogène

Un autre apport essentiel de l’ordonnance est d’instaurer deux systèmes pour la traçabilité de l’hydrogène, capables de renseigner sur l’origine de l’hydrogène. Comme pour l’électricité et le biogaz, le dispositif se base sur des garanties d’origine, qui pourront attester de l’origine renouvelable ou bas-carbone de l’hydrogène produit.

Une garantie d’origine permet de certifier une quantité d’hydrogène produit comme étant renouvelable ou bas-carbone. Elle peut être valorisée par le producteur et manifeste le soutien du consommateur à une filière de production vertueuse. Les modalités pratiques d’émission, d’échange, d’utilisation et d’annulation des garanties d’origine de l’hydrogène feront l’objet d’un décret relatif à la traçabilité, attendu pour le premier semestre 2021.

En parallèle, l’ordonnance introduit aussi des « garanties de traçabilité ». Celles-ci ne peuvent être échangées indépendamment des quantités auxquelles elles sont associées. Ce dispositif, plus exigeant, nécessite un suivi et une logistique plus conséquents. Différents types d’hydrogène peuvent en effet être mélangés au cours d’une phase d’acheminement, par exemple au niveau d’une canalisation dédiée. Reste la possibilité, lors de l’échange de quantités, de convertir une garantie de traçabilité en garantie d’origine dans une pareille situation.

Un registre national tiendra à jour la gestion de ces deux garanties de production, valables douze mois, sous la responsabilité d’un organisme indépendant désigné par l’autorité administrative. Ce système doit également pouvoir accueillir les garanties délivrées par les partenaires européens conformément à la directive 2018/2001 relative aux énergies renouvelables.

Un soutien public à la production d’hydrogène renouvelable ou bas carbone

Décarboner la production d’hydrogène est l’une des conditions de réussite de la Stratégie nationale hydrogène, que ce soit pour réduire les émissions de CO2 dans l’industrie ou développer de nouveaux usages dans la mobilité. C’est pourquoi l’émergence d’une filière française de l’électrolyse constitue l’une des grandes orientations retenues par l’Etat.

Les technologies de type « alcaline » ou « PEM » sont matures. Toutefois, l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau est encore trois fois plus cher que l’hydrogène fossile produit par vaporeformage de gaz naturel, qui constitue la quasi totalité de la production en France aujourd’hui.

La croissance du nombre d’électrolyseurs et de leur capacité unitaire permettra des économies d’échelle et la baisse des coûts de production. Mais en raison des surcoûts initiaux et de l’insuffisance du marché, la puissance publique s’engage à accompagner l’industrialisation et le déploiement commercial de ces technologies pour rendre l’hydrogène renouvelable ou bas-carbone compétitif.

L’ordonnance introduit en ce sens un cadre de soutien à la production d’hydrogène décarboné, ciblant la production d’hydrogène renouvelable ou d’hydrogène bas-carbone produit par électrolyse de l’eau.

Octroyé après appels d’offres établis selon des critères économiques (prix de l’hydrogène produit) et environnementaux (réduction des émissions de GES), le soutien de l’Etat prendra la forme d’une aide à l’investissement (CAPEX), d’une aide au fonctionnement (OPEX), ou d’une combinaison des deux. Les bénéficiaires peuvent être toute personne installée sur le territoire d’un Etat membre de l’UE ou de l’EEE exploitant une unité de production en France.

D’une durée de 20 ans maximum, ce soutien est appelé à décroitre dans le temps à mesure que la rentabilité sera atteinte. Le législateur a pris soin d’introduire les garde-fous nécessaires pour se prémunir de tous risques de surrémunération excessive, avec la prise en compte des aides fiscales ou financières dont bénéficie par ailleurs l’installation et de potentielles révisions périodiques.

L’enjeu essentiel est de réduire l’écart de compétitivité entre l’hydrogène fossile, au coût d’environ 1,5 €/kg dans l’UE, et l’hydrogène renouvelable ou bas-carbone. Le principe d’une aide au fonctionnement sera déterminant : le coût de l’hydrogène produit par électrolyse repose principalement sur le coût de l’électricité et la durée de fonctionnement des électrolyseurs.

Le mode de son soutien reste à définir par décret dans les prochains mois. Pour sa part, France Hydrogène défend l’idée d’un complément de rémunération, octroyé au producteur d’hydrogène décarboné en €/kg afin de combler le déficit de compétitivité. Cette prime compense l’écart entre les revenus de marché de référence et un niveau de rémunération de référence, fixé par le producteur dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence.

L’aide au fonctionnement fera enfin l’objet de périodes d’expérimentation pour les petits et moyens projets ainsi que pour les filières non matures.

La première base d’un édifice en construction

Injection d’hydrogène dans le réseau de gaz, sécurité des infrastructures, stockage souterrain, contrôles administratifs, l’ordonnance vient enfin adapter à l’hydrogène divers régimes légaux, tout en tenant compte de ses spécificités.

L’ordonnance prévoit tout d’abord qu’en cas d’injection, les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution de gaz doivent mettre en œuvre les mesures nécessaires pour assurer le bon fonctionnement et l’équilibrage des réseaux, la continuité du service d’acheminement et de livraison du gaz naturel et la sécurité des biens et des personnes. Un point déjà étudié par les opérateurs gaziers.

En outre, elle instaure à partir du 1er avril 2023 un cadre spécifique pour la traçabilité de l’hydrogène renouvelable injecté, avec la création de garanties d’origine « gaz renouvelable injecté dans le réseau de gaz naturel ». Un dispositif qui n’a pas d’équivalent pour l’injection d’hydrogène bas-carbone dans le réseau de gaz.

Des modifications mineures du code minier permettent d’étendre le régime légal applicable au stockage souterrain à l’hydrogène, l’extension des titres d’exploitation de stockage de gaz à l’hydrogène, et étendre à l’hydrogène des pouvoirs administratifs d’enquête et de contrôle prévus par le code de l’énergie.

Ces chantiers seront à poursuivre pour accompagner le développement de la filière et bâtir un marché concurrentiel de l’hydrogène d’ici 2030. L’ordonnance constitue une base solide sur laquelle la filière française va pouvoir s’appuyer. Elle devra être suivie d’autres mesures pour encadrer l’ensemble de la chaine de valeur de l’hydrogène (production, transport, stockage, distribution, usages), réguler le couplage entre le secteur du gaz et le secteur de l’électricité, lever les obstacles administratifs et réglementaires, et instaurer les incitations et outils appropriés pour stimuler le déploiement de la filière. Articuler soutiens à l’offre et à la demande sera déterminant pour faire de la Stratégie française une réussite au regard de ses enjeux écologiques, économiques et de souveraineté.

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