Le Maroc prépare un avant-projet de loi concernant l’autoproduction solaire

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M. Versini-Campinchi, le gouvernement marocain a publié en novembre 2021 une nouvelle version de l’avant-projet de loi n°82-21 relatif à l’autoproduction de l’énergie électrique. Quel est l’objet de cette réforme ?

François Versini-Campinchi : L’avant-projet de loi a pour objet d’établir un véritable régime juridique de l’autoproduction dans la législation marocaine. Cette notion est notamment absente de la grande loi sur les énergies renouvelables (loi n°13-09 du 11 février 2010), laquelle a permis la production d’énergie vendue à des consommateurs « pour leur propre usage », sans pour autant consacrer de statut d’autoproducteur/autoconsommateur.

Ce vide est comblé par l’avant-projet de loi, qui crée un véritable statut d’autoproducteur, défini comme « toute personne physique ou morale de droit public ou privé qui produit de l’énergie électrique exclusivement pour ses propres besoins, et qui est propriétaire de l’installation d’autoproduction ou dispose d’un droit sur cette-dernière ».

Il est intéressant de relever que l’autoproducteur peut être propriétaire de l’installation ou simple titulaire d’un droit sur celle-ci. Cela autorise explicitement l’autoproduction sans propriété de la centrale et donc des montages en « tiers investisseur », dans lesquels l’installation est financée par un tiers et utilisée par « l’usager » du site (propriétaires d’immeubles d’habitation, exploitants de commerces ou d’usines…). Un tel montage permet d’externaliser le coût des installations de production, en les faisant porter par des sociétés spécialisées chargées de les financer et exploiter, remises prêtes à usage à l’utilisateur. Ce type de montage constitue l’une des clés pour démocratiser l’autoproduction à grande échelle.

Le texte est néanmoins toujours contesté par une partie des professionnels du secteur, du fait de certains freins. Il a notamment été pointé le régime de sanctions, particulièrement sévères, alors qu’il s’agit d’inciter l’investissement. Ces sanctions ont été réduites dans la dernière version du texte, avec la suppression des peines d’emprisonnement.

Quelles sont les conditions permettant le bénéfice du statut d’autoproducteur ?

Le régime juridique est adapté en fonction des caractéristiques des centrales. Pour les autoproducteurs non raccordés au réseau, quel que soit le niveau de puissance, il est uniquement prévu une simple déclaration auprès de l’autorité administrative.

Pour les autoproducteurs raccordés au réseau électrique national, le projet de loi prévoit un éventail de régime en fonction de la puissance installée :

– les installations inférieures à un seuil défini par décret et raccordées en basse tension doivent faire l’objet d’une simple déclaration préalable auprès du gestionnaire du réseau de distribution ;

– les installations de moins de 5 MW raccordées en basse ou moyenne tension doivent faire l’objet d’une approbation du raccordement, soumise au gestionnaire du réseau électrique national ;

– les installations de plus de 5 MW raccordées en moyenne, haute et très haute tension doivent faire l’objet d’une autorisation préalable accordée par l’autorité administrative, après avis du gestionnaire du réseau électrique national.

Les seuils de la déclaration et de l’approbation de raccordement seront fixés dans un décret.

L’avant-projet de loi n°82-21 prévoit également la possibilité d’injecter la production excédentaire sur le réseau, dans une limite fixée à 10 % de la production annuelle, à un tarif fixé par l’Autorité Nationale de Régulation de l’Electricité.

L’injection sur le réseau sera soumise au paiement d’une contribution au gestionnaire du réseau électrique national concerné fixée par la même Autorité, ce qui devra être ajouté aux paiements des tarifs d’utilisation du réseau. Par ailleurs, les installations raccordées au réseau devront être munies d’un compteur intelligent permettant l’échange d’information en temps réels.

Ces modalités font encore partie des points de contestation du projet de loi, notamment le régime de déclaration et d’approbation relativement lourd et la limite restrictive de 10 % d’injection sur le réseau. Des améliorations sont encore attendues sur ces points.

Quels usages peuvent être envisagés ?

L’avant-projet de loi n°82-21 est non seulement technologiquement neutre, dans la mesure où il n’impose aucun type de production particulier, mais il n’est par ailleurs pas réservé aux centrales d’énergie renouvelable et pourrait être utilisé pour de centrales production à base d’énergie fossile (fioul, gaz).

On peut toutefois s’attendre à ce que sa mise en œuvre fasse une place particulière pour les centrales photovoltaïques, propices à une démarche d’autoproduction eu égard aux possibilités fournies par l’implantation en toiture et à la possibilité de mettre à l’abri des variations du coûts des matières premières.

Le régime le plus contraignant, légalement réservé aux installations de plus de 5 MW, laisse une certaine marge pour l’alimentation de bâtiments d’activités tertiaires et petites industries, sans oublier l’alimentation de bâtiments résidentiels.

Les surcoûts liés au raccordement au réseau (tarif d’utilisation, contribution spéciale) pourraient renforcer l’intérêt des projets non raccordés au réseau. D’autant plus que, s’agissant des énergies renouvelables telles que le solaire photovoltaïque, les installations sont soumises à la limite de capacité d’accueil maximale du réseau électrique national au point de raccordement concerné.

François Versini-Campinchi.

Image : LPA-CGR avocats

François Versini-Campinchi, associé au cabinet LPA-CGR avocats. Il intervient principalement en droit de l’urbanisme, droit de l’environnement et les installations classées, le droit électrique, ainsi que dans le droit des marchés publics et la rédaction de contrats complexes dans le domaine public. Il plaide également dans ces domaines devant les juridictions administratives. Il intervient dans le secteur des énergies renouvelables et plus particulièrement dans les secteurs solaire et éolien. Il aide ses clients – y compris les entreprises françaises et internationales, fonds d’investissement, banques – sur la phase de développement ainsi que le financement et l’acquisition de projets. Il a également développé une expertise spécifique sur les montages de projets énergétiques en Afrique.

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