Le développement du solaire en Algérie mûr pour un nouvel élan ?

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Fin 2023, l’Algérie disposait d’une capacité photovoltaïque de 436,8 MW, selon le dernier baromètre du Commissariat aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique (CEREFE). Autant dire, une goutte d’eau au regard de l’immense potentiel de ce pays, le plus grand d’Afrique, qui dispose d’un des gisements solaires les plus importants au monde. Avec une moyenne de 3 000 heures d’ensoleillement annuel, l’Irradiation horizontale globale (IGH) est estimée à près de 1 700 kWh/m2/an dans le nord et à 2 263 kWh/m2/an dans le sud.

Pour autant, l’Algérie continue de produire 99 % de son électricité à partir du gaz tiré de ses sous-sols, grâce auquel elle a atteint un taux d’électrification de près de 100 %. Revers de la médaille, en dépit de plusieurs programmes lancés ces dernières années, le solaire est longtemps resté cantonné au domaine de la R&D et à l’électrification des villages reculés, qu’il est bien trop coûteux de relier au réseau de transport national. Ce n’est donc pas un hasard si, sur les 11,17 MW de PV nouvellement installés en 2023, seuls 1,54 MW ont été raccordés au réseau. Le reste (soit 9,63 MW) portait sur le hors-réseau, dont 5,28 MW pour l’éclairage public et 3,73 MW pour les kits PV pour zones isolés.

La nécessité de diversifier les sources d’énergie

Les choses évoluent cependant. Si entre 2018 et 2022, le secteur des hydrocarbures a en moyenne représenté 19 % de son PIB, le gouvernement algérien, sous l’impulsion de son président Abdelmadjid Tebboune, cherche à mener une transition énergétique, afin de diversifier ses sources d’énergie et de préserver ses capacités d’exportation de gaz naturel, tout en faisant face aux défis de l’épuisement des ressources fossiles et à la nécessite de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. « Les investissements réalisés et en cours de réalisation dans le domaine des énergies renouvelables permettront d’atteindre une production d’environ 4 GW début 2025 », assure donc Mourad Issiakhem, directeur de l’efficacité énergétique au sein du CEREFE. Il évoque par-là les deux grands appels d’offres solaires lancés rien que sur 2023 par la Société nationale de l’électricité et du gaz (Sonelgaz), pour une capacité cumulée de 3 GW.

Le projet « 1000 MW » porte sur la réalisation de cinq centrales solaires de 50 MWc à 300 MWc, tandis que celui de « 2000 MW » consiste en la réalisation de quinze parcs PV, à travers douze Wilayas du pays, d’une puissance allant de 80 MWc à 220 MWc. Pour ces deux enchères, l’Algérie a fait le choix à contre-courant : opter pour une structure EPC (ingénierie, approvisionnement, construction), un format clé-en-main qui laissera Sonelgaz gérer les nouvelles installations solaires. « Etant donné qu’en mode EPC, le coût du kWh est plus cher qu’en mode IPP, la plupart des pays font désormais le choix de la contractualisation IPP, analyse Mouloud Bakli, PDG et fondateur de la société Clean Power Engineering, et fin connaisseur du marché des énergies. En faisant ce choix pour ses premiers appels d’offres à grande échelle, le gouvernement algérien a voulu se prémunir des risques au niveau des garanties et des complexités des contrats bancables sur le long terme. Mais il est très probable que les prochains soient en mode IPP ».

Les contractants ont été dévoilés en mars 2024. Pour le projet « 1 GW », cinq lots ont été attribués. Parmi eux, Amimer Energie, entreprise algérienne spécialisée dans la fabrication et l’installation de groupes électrogènes et de centrales électriques, a remporté deux lots, respectivement de 100 et 50 MWc. Les deux parcs seront équipés de modules solaires TOPCon de type n Tiger Neo sur structure fixe, fournis par le fabricant JinkoSolar. De son côté, le groupe de construction Ozgun a remporté 300 MW, tout comme l’entreprise de construction publique chinoise China State Construction Engineering (CSCEC). Enfin, le groupement constitué de l’Algérien Cosider et du fabricant d’onduleurs Fimer ont obtenu la construction d’une centrale solaire de 250 MWc.

35 % de contenu local = 25 % de bonification

Concernant l’appel d’offres « 2 GW », ce sont surtout les concessionnaires chinois qui ont raflé la mise. Cinq projets totalisant 780 MW ont ainsi été attribués à un consortium chinois regroupant China International Water & Electric Corporation (CWE) et China Nuclear Industry Huaxing Construction (HXCC). Le consortium va installer des modules Astroenergy sur une centrale solaire de 220 MWc à Batmet (M’sila), deux centrale de 200 MW à Gueltet Sidi Saad (Laghouat) et à Douar (El Maa), ainsi que sur deux projets de 80 MWc à Abadla (Béchar) et dans la Wilaya d’Ouled Djellal. Pour ce qui est de PowerChina, bien implantée sur le marché énergétique africain, elle est lauréate de deux projets : une première centrale de 200 MWc avec son compatriote Sinohydro, spécialisé dans la construction d’infrastructures hydroélectriques, et une deuxième de 150 MW en partenariat avec Zhongnan Engineering Corporation. Pour finir le palmarès des entreprises chinoises, CSCEC a remporté 200 MWc et Shanxi Installation Group 80 MWc.

Les quatre dernières centrales ont été attribuées à des entreprises algériennes, parfois en partenariat avec des groupes étrangers. L’Algérien Cosider Canalisation et le fabricant d’onduleurs Fimer se chargeront donc de la construction de deux parcs PV dans les Wilayas de Béchar (120 MWc) et de Toggourt (150 MWc). Tandis que la société Hamdi Eurl a remporté deux centrales de 80 MW chacune, le fabricant national de panneaux photovoltaïques Zergoun, en association avec le groupement turc Özgün Insaat, sont lauréats d’une centrale de 80 MW à Guerara.

L’ensemble des 19 projets des deux appels d’offres représente un montant d’investissement de dinars algérien (1,8 milliard d’euros). Les prix proposés par les candidats s’échelonnaient entre 0,54 €/Wc et 0,81 €/Wc pour un prix moyen à 0,625 €/Wc. Le LCOE est évalué à 5 à 6 dollars/kWh. Selon nos informations, les entreprises sélectionnées devraient bientôt entrer dans la phase des travaux de génie civil. En complément, deux lots distincts de 200 MW (avec stockage d’énergie) et de 80 MW ont également été remportés fin septembre 2024 respectivement par China Railway et par MCC International Corporation.

Reste à savoir si toutes ces centrales photovoltaïques entreront bel et bien en activité. Car le pays qui s’est pourtant doté d’un programme national des énergies renouvelables (ENR) dès 2011 a connu plusieurs ratées par le passé, avec des appels d’offres sous-souscrits ou annulés, qui ont marqué le secteur des énergies renouvelables. « Un appel d’offres de 4 GW annoncé en 2017 ne s’est jamais concrétisé tandis que plusieurs appels d’offres d’énergie solaire n’ont pas réussi à attribuer tous les lots », note le cabinet de consulting américain Albright Stonebridge. Plus récemment, l’appel d’offres « Solar 1000 MW », lancé en 2021 sous le régime IPP, a finalement été abandonné pour être transformé en l’appel d’offres d’1 GW en EPC.

Cette fois, les choses pourraient et devront être différentes, si l’Algérie veut réellement atteindre son objectif de disposer de 15 GW de capacités EnR à l’horizon 2035. En dépit de freins qui subsistent, en particulier au niveau de l’accès des investisseurs étrangers au marché local et d’une administration complexe, le gouvernement a de ce fait commencé à assouplir certaines règles. A commencer par celle dite du « 51/49 » qui prévoyait le plafonnement à 49 % de la participation de tout investisseur étranger dans le capital d’une société algérienne. Celle-ci a été abrogée en 2022 pour les projets d’énergies renouvelables. « Cette contraine avait été identifiée par de nombreuses entreprises internationales comme l’un obstacle majeur à l’investissement, poursuit le cabinet Albright Stonebridge. Désormais, les entreprises étrangères peuvent détenir une participation majoritaire dans les sociétés de projet, ce qui représente une évolution favorable ».

Et surtout, le développement des capacités de production d’énergie photovoltaïque s’accompagne aujourd’hui d’une véritable stratégie de mise en place d’une filière industrielle locale, avec en corollaire la création de 12 000 emplois. Pour s’assurer de l’écoulement des produits « Made in Algeria », le cahier des charges des appels comprend en effet une clause explicite sur le contenu local. Si plus de 35 % de la valeur du matériel est issu d’une production domestique, les candidats bénéficient d’un bonus de 25 % au niveau du coût total de leur installation en dollars par Watt-crête ($/Wc). Toutes les étapes de la chaîne de valeur sont concernés : panneaux photovoltaïques, structures de montage, câblage, génie civil et services de construction…

L’Algérie se rêve en eldorado de la production de verre solaire

C’est par exemple le cas du consortium Zergoun-Özgün qui a profité d’une majoration du coût de son projet, car il équipera ses centrales solaires de ses panneaux solaires produits dans l’usine de Ouargla dans le nord du pays. L’industriel dispose depuis juin 2022 d’une toute nouvelle usine d’une superficie totale de 9 200 m2 et équipée par l’Espagnol Mondragon Assembly. Automatisée à plus de 95 %, elle dispose d’une capacité annuelle de 200 MW en modules basés sur des cellules M10. « Au total, l’Algérie dispose d’une capacité d’assemblage de modules solaires de 500 MW, qui devrait passer à d’ici à fin 2025 à 600 à 700 MW », souligne Mouloud Bakli. Aux côtés de Zergoun, le fabricant Lagua Solaire produit également 200 MW de panneaux solaires tandis que l’usine de production du société algérienne de télécommunications et d’énergie renouvelable Milltech dispose d’une usine à Mila, dans l’est du pays, qui possède une capacité de production de modules M3 de 100 MW.

Outre les panneaux solaires, produits autour de 12 ct€/Wc et qui représentent environ 20 % du coût d’un projet solaire, le pays se dote également rapidement de capacités de production dans les câbles. Dans son rapport, le CEREFE évoque la présence de deux fabricants des câbles solaires avec une capacité de production annuelle de 1250 kilomètres. Concernant les structures métalliques fixes, plusieurs fabricants détiennent une capacité d’environ 800 MW et ils peuvent s’appuyer sur les aciéristes déjà présents dans le pays, comme le Français ArcelorMittal, le Turc Tosyalı ou Qatari Steel.

Offrant à ses entreprises un prix modique de l’électricité à ses entreprises, autour de 4,68 dinars algériens le kWh (soit 0,032 €/kWh), l’Algérie se rêve enfin en eldorado de la production de verre solaire, pour sa production domestique, mais aussi pour le marché américain, pour remplacer les marchés asiatiques concernés par une interdiction d’importation de leurs équipements photovoltaïques. « Loin de ralentir les projets, l’obligation de contenu local dans les appels d’offres stimule la demande intérieure et représente une vraie opportunité à l’export », résume Mouloud Bakli. Il cite ainsi l’entreprise Mediterranean Float Glass (MFG), filiale du groupe Cevital, aurait donc en projet une nouvelle ligne de 5 GW de production de verre solaire.

Afin de remplacer progressivement ses exportations de gaz et de pétrole, l’Algérie entend se positionner sur la scène énergétique internationale comme fournisseur d’hydrogène bleu (produit par vaporeformage de gaz adjoint d’une technologie de captation du CO2) et vert (à partir des renouvelables) et s’est dotée en septembre 2023 d’une stratégie nationale allant dans ce sens. Elle aspire à cet effet à produire et exporter entre 30 à 40 TWh par an sous forme d’hydrogène gazeux, liquide et/ ou ses dérivés, ce qui pourrait représenter des recettes d’environ 10 milliards de dollars par an. Pour cela, le gouvernement promet qu’un « cadre réglementaire régissant l’ensemble des activités liées à la production, le stockage, le transport et l’utilisation de l’hydrogène sera mis en place durant la période 2025-2030 ». « Plusieurs freins techniques subsistent toutefois, notamment le fait qu’en Algérie, les ressources solaires et éoliennes ne sont pas colocalisées au bord de la mer », souligne Mouloud Bakli. Les bons gisements éoliens se trouvent en effet majoritairement dans les régions des hauts plateaux à plusieurs centaines de kilomètres de la côte méditerranéenne, ce qui nécessite d’utiliser le réseau pour transporter l’énergie éolienne verte vers le littoral nord, ce qui risque d’être disqualifiant pour les prix des exportations vers l’Union européenne.

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