Les nouveaux objectifs climatiques européens et les enjeux de « réindustrialisation » imposent une accélération de la production d’électricité bas carbone. Si la feuille de route prévoit une montée en puissance du nucléaire, les premiers réacteurs n’arriveront pas avant 2037-2040. D’ici là, l’atteinte des objectifs de décarbonation passe par une forte expansion des énergies renouvelables (EnR), avec une cible de 340 à 370 TWh à l’horizon 2050. Cette dynamique pose un défi majeur : comment intégrer efficacement ces volumes dans un réseau historiquement conçu pour une production centralisée et pilotable ?
Lisser la demande ou limiter la production en cas de surabondance d’énergie sont les deux options possibles pour éviter les blackouts, mais les solutions de flexibilité mises en place dans les stratégies réseaux peuvent être sophistiquées en combinant le développement de la consommation intelligente, le stockage et la modulation de la production.
Repenser le fonctionnement des réseaux
Historiquement, c’est le réseau de transport d’électricité, géré par RTE, qui mobilise les flexibilités pour assurer en permanence l’équilibre de l’offre et de la demande sur le réseau électrique français. Les centrales de production d’énergie y étaient traditionnellement raccordées, mais l’essor des EnR, principalement implantées sur les réseaux moyenne et basse tension, a bouleversé cette dynamique. Moins d’1 GW de solaire est raccordé sur le réseau haute tension alors qu’à fin décembre 2024, Enedis comptabilisait plus d’un million de producteurs d’énergie photovoltaïque pour une puissance installée de 22 GW. Sur la seule année 2024, Enedis a raccordé 4,6 GW d’énergie photovoltaïque, soit 48 % de plus qu’en 2023, un record !
Avec la montée en puissance de l’électrification des usages – en retard, mais inévitable -, les besoins en flexibilité se précisent, notamment pour gérer les variations de production à l’échelle de la journée. L’enjeu aujourd’hui est de lisser la courbe de la demande résiduelle. Ce défi rend la coopération entre RTE et les gestionnaires des réseaux basse et moyenne tension essentielle. Un exemple concret : en 2022, Enedis a pu libérer 2 GW de puissance en hiver, à la demande de RTE, en interrompant l’alimentation des ballons d’eau chaude sanitaire pendant la pause méridienne.
Prédire le productible pour optimiser la consommation solaire
À l’origine conçu pour acheminer l’électricité des centrales vers les consommateurs, le réseau électrique est désormais bidirectionnel et doit s’adapter à une production de plus en plus décentralisée, souvent éloignée des zones de consommation. Pour relever ce défi et accompagner les nouveaux usages électriques, Enedis a prévu un plan d’investissement de 96 milliards d’euros sur la période 2022-2040, dont 10 milliards spécifiquement consacrés à l’intégration des EnR. Sous réserve de confirmation, le TURPE 7 (Tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité) entrera en vigueur le 1er août 2025 pour quatre ans et assurera des moyens en hausse à Enedis, sachant qu’il constitue environ 95 % de ses ressources financières.
De son côté, RTE prévoit d’investir plus de 100 milliards d’euros sur quinze ans pour mettre en œuvre le SDDR 2025 (Schéma décennal de développement du réseau), afin de transformer et adapter le réseau de transport. L’objectif est de renouveler le réseau face au changement climatique, d’anticiper les raccordements électriques (1 410 projets industriels déjà autorisés), et de renforcer le réseau 400 000 volts. Certaines zones industrielles particulièrement émettrices de CO₂, comme Dunkerque, Le Havre et Fos-sur-Mer, bénéficieront de plans de renforcement et de développement électriques spécifiques.
La transition énergétique met en exergue le besoin de penser la flexibilité dans les développements réseau à venir. Mais pour Enedis, RTE et même l’Ademe, une bonne partie de la flexibilité est déjà accessible aujourd’hui sans développer de nouvelles infrastructures.
Moduler la consommation en priorité
La modification du dispositif heures pleines/heures creuses (HP/HC), également prévue dans le TURPE 7, pourrait encourager un décalage des consommations vers les périodes de forte production solaire. À partir de 2027, deux à trois heures creuses pourraient être placées en début d’après-midi avec cinq heures creuses maintenues la nuit – sachant que leur répartition pourrait varier entre l’été et l’hiver et être ajustée localement. Hérité du nucléaire (pour déplacer une partie de la consommation la nuit et absorber cette production massive et constante), ce type d’offre concerne 14,5 millions de clients, soit 40 % des consommateurs du réseau basse tension (≤ 36 kVA).
Une bonne partie de la flexibilité est déjà accessible.
La France dispose d’un autre atout majeur : 94 % des foyers sont déjà équipés de boîtiers intelligents, capables d’automatiser certains transferts de consommation ou, à défaut, d’informer les utilisateurs via des signaux incitatifs. En plus des 37,2 millions de compteurs communicants Linky, d’autres solutions connectées sont mobilisées pour favoriser l’intégration des pics production renouvelable (lire l’article sur l’IA p.13). Ces systèmes intelligents sont déployés aussi bien dans le résidentiels, dans l’industrie (consommation stable d’environ 14 GW tout au long de l’année) que dans les bâtiments tertiaires et non résidentiels qui représentent ensemble un tiers de la consommation française.
Le chargement des véhicules électriques pourrait également devenir un levier majeur de flexibilité. D’ici 2035, leurs batteries cumulées pourraient représenter près de 1 200 GWh de stockage, soit douze fois la capacité actuelle des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Bien que leur fonction première reste la mobilité, une recharge bien pilotée de ces dispositifs permettrait d’exploiter ce potentiel de stockage sans altérer la qualité du service.
Stocker, écrêter et surtout s’adapter !
Le stockage intervient dans un second temps dans les stratégies de flexibilité du réseau. La baisse des prix des batteries le rend de plus en plus attractif, notamment pour l’autoconsommation, contribuant ainsi à un premier lissage entre production et consommation locales. Sa rentabilité croissante séduit aussi à plus grande échelle : depuis fin 2020, les capacités de stockage raccordées au réseau public d’Enedis ont été multipliées par dix, atteignant aujourd’hui 607 MW, notamment dans le cadre d’appels d’offres pour la flexibilité locale. Cependant, en France, leur modèle économique repose encore largement sur les services systèmes de RTE. À terme, elles devraient aussi se valoriser grâce à l’optimisation infra-journalière des prix de l’électricité.
100 milliards d’euros sur 15 ans, c’est le montant que RTE prévoit d’investir pour mettre en œuvre le SDDR 2025 (Schéma décennal de développement du réseau).
La modulation de la production, qui consiste à limiter ou déconnecter certains actifs solaires, pose la problématique de renoncer à une énergie bon marché, mais elle est déjà appliquée en France. Sur le réseau basse tension, Enedis expérimente par exemple des solutions permettant à des nouveaux producteurs EnR de bénéficier d’un raccordement plus rapide et moins coûteux en échange d’écrêtements ponctuels de leur production – une stratégie matérialisée dans le projet « Reflex », mené dans sept départements depuis plus de trois ans.
Les incitations économiques jouent aussi un rôle croissant puisque la priorité au réseau a disparu avec le complément de rémunération. Dans ces contrats, les centrales peuvent être déconnectées en cas de besoin, moyennant une compensation relative, à l’inverse des tarifs d’achat dans lesquels EDF OA est contraint d’acheter l’électricité produite. Dans l’absolu, ce sont principalement les mécanismes de marché qui décident quels actifs restent en fonctionnement, d’où l’intérêt de penser des offres ou des règles plus adaptées à la production renouvelable européenne en croissance.
L’un dans l’autre, l’électrification peine encore à se déployer pleinement, en raison de plusieurs facteurs : un manque de volonté politique, des retards technologiques sur des innovations clés comme l’hydrogène vert, des défis techniques tels que l’électrification de l’industrie, et des avantages comparatifs de prix encore insuffisants pour les EnR. Dans ce contexte, les réseaux doivent se préparer aux scénarios de croissance les plus optimistes tout en restant flexibles… aux évolutions des politiques énergétiques.
Cet article est tiré de l’édition spéciale de pv magazine France, à télécharger ici.
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