Neutralité carbone : l’Ouzbékistan fait la course en tête

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D’après pv magazine international.

On peut qualifier l’Ouzbékistan de « bon élève ». Depuis 2016, le pays a en effet engagé d’importantes réformes et transformations économiques, sociales et politiques et a soutenu le développement des énergies renouvelables, notamment du solaire. Quelles sont aujourd’hui les retombées positives de ces actions ?

Illustration concrète et d’actualité de l’absolue nécessité d’agir pour contrer le changement climatique en Ouzbékistan, la réduction des ressources en eau et la modification des régimes de précipitation prévues par les projections entraîneront selon toute probabilité de longues périodes de sécheresse menaçant de plonger une partie importante de la population ouzbèke dans l’insécurité en matière de nourriture et d’eau.

Les pénuries d’eau entraînent une baisse des rendements des cultures, lesquelles ne suffiront pas à nourrir la population du pays, à la croissance rapide. Un problème amplifié par l’assèchement de la mer d’Aral qui a déjà perdu 57 % de sa superficie, 80 % de son volume et 64 % de sa profondeur au cours des 40 dernières années.

Pour remédier à cela, le pays s’est fixé des objectifs très ambitieux en matière de changement climatique, soutenus par plusieurs initiatives visant à refonder son mix énergétique. Ces objectifs visent notamment à :

  1. réduire les émissions de gaz à effet de serre par unité de PIB de 35 % par rapport aux niveaux de 2010 d’ici à 2030 ;
  2. augmenter la part des renouvelables à 25 % de la production d’électricité totale – doubler l’indicateur d’efficacité énergétique par rapport au niveau de 2018 ;
  3. diviser par deux l’intensité énergétique de l’économie du pays ;
  4. faire reculer la consommation industrielle des ressources naturelles ;
  5. atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

L’Ouzbékistan a pris la mesure des enjeux et compris la nécessité d’apporter un soutien en termes de financement et de fournisseurs de technologies, et pour ce faire, d’attirer des investisseurs étrangers. Il est donc intéressant d’examiner comment le pays a réussi à gérer cette transformation et quel est l’état actuel des marchés des énergies renouvelables et du PV. Ceux-ci pourraient représenter des opportunités intéressantes de croissance à l’international pour d’éventuels partenaires stratégiques.

Refondre le cadre légal et réglementaire de l’énergie

Depuis l’arrivée à la présidence en 2016 de l’ancien Premier ministre Chavkat Mirziyoyev, qui a été réélu en octobre 2021, le gouvernement ouzbek a adopté une stratégie de développement à moyen terme, « la Stratégie d’actions pour 2017-2021 ». D’une manière générale, grâce à des réformes complètes et profondes de son économie, le pays a abandonné son ancien modèle soviétique au profit d’un modèle plus dynamique qui a permis d’améliorer les conditions de vie de la population de façon notable.

Ces réformes ont également amélioré le climat d’investissement, supprimé les principales distorsions du marché et déverrouillé les possibilités d’entreprenariat privé. En conséquence, l’économie ouzbèke s’est considérablement ouverte et libéralisée.

Au cours des 5 dernières années et pour promouvoir les énergies renouvelables, le ministère de l’Économie a notamment :

  • réglementé le secteur de l’énergie ;
  • mis en place des accords de partage de production ainsi que la supervision de leur respect ;
  • élaboré un PPP (partenariat public-privé) ;
  • amélioré la politique tarifaire pour faciliter la formation d’un environnement commercial concurrentiel en vue d’augmenter et de diversifier la production d’énergie ;
  • mis en place un gouvernement d’entreprise moderne dans le secteur de l’énergie.

Ces réformes se sont immédiatement traduites par la restructuration de fond en comble d’Uzbekenergo JSC, la compagnie nationale dotée du monopole de la fourniture d’électricité. Depuis, trois sociétés par actions ont été créées et placées sous la tutelle de la troisième : Centrales thermiques, Réseaux électriques nationaux (transmission) d’Ouzbékistan, et Réseaux électriques régionaux (distribution).

En outre, le décret 4477 a été adopté pour soutenir la transition écologique de l’économie. Celui-ci :

  1. augmente l’efficacité énergétique de certains secteurs clés de l’économie ;
  2. impose la consommation diversifiée des sources d’énergie et le développement du recours aux énergies renouvelables ;
  3. propose une adaptation aux conséquences du changement climatique et leur atténuation, améliore l’efficacité du recours aux sources naturelles et préserve les écosystèmes naturels ;
  4. soutient l’élaboration de mécanismes financiers et non-financiers pour créer une économie « verte ».

Adapter les tarifs à la consommation et à la demande en énergie

Les changements survenus dans la législation du pays en 2020 ont rapidement entraîné le remaniement de la structure tarifaire dans les secteurs de l’électricité et du gaz naturel. Comme dans bien d’autres pays, l’Ouzbékistan a approuvé une tarification différentiée et souple de l’électricité pour la population en fonction de l’heure de la journée et des jours de la semaine (jours ouvrés/week-end).

Ainsi, les consommateurs peuvent désormais choisir un contrat prévoyant un tarif différencié en fonction des plages horaires (avec, en règle générale, des heures creuses moins chères la nuit), ou un tarif unique (c’est-à-dire un prix inchangé tout au long de la journée). De plus, un tarif différencié en fonction du volume de consommation s’applique (fondé sur un taux de référence).

Fin 2020, le Document de réflexion pour garantir l’approvisionnement en électricité en Ouzbékistan pour 2020-2030 a par ailleurs été approuvé. Celui-ci envisage une augmentation des capacités de production de 12,9 GW en 2019 à 29,3 GW en 2030. Il prévoit également d’atteindre 8 GW d’électricité produite à partir de renouvelables, dont 3 GW d’éolien et 5 GW de solaire.

Toutefois, ces objectifs n’ayant pas suffi, 2021 a été l’année du lancement du marché de gros de l’électricité. Au 1er semestre 2021, un projet de résolution présidentielle « sur les mesures supplémentaires en vue de réformer le secteur de l’électricité » a été annoncé, lequel vise à ouvrir un marché concurrentiel de l’électricité dans le pays entre 2020 et 2025.

Ce document prévoit la création d’un organisme de réglementation indépendant chargé de l’électricité et du gaz naturel, lequel ne sera pas intégré au gouvernement comme c’est le cas aujourd’hui, mais rendra compte au président et au parlement. Outre un rôle classique de contrôle et d’octroi de licences, cet organisme devrait avoir notamment les fonctions suivantes :

  • l’élaboration et l’approbation de la grille tarifaire pour la production, le transport, la distribution et la vente de l’électricité ;
  • le recul de la participation du gouvernement dans le secteur de l’énergie pour créer des conditions favorables de nature à attirer les capitaux privés, et prévention des hausses de prix excessives pour la fourniture d’électricité aux utilisateurs finaux ;
  • la séparation de JSC « National Electric Grid of Uzbekistan » (Réseau électrique national d’Ouzbékistan – NEGU) pour créer une nouvelle entité, « Uzpowertrade » JSC, responsable des exportations et importations d’électricité et disposant du droit à acheter directement de l’électricité auprès des producteurs pour la vendre en ligne à un prix libre.

Ces changements laissent le champ libre à la mise en place du Concept de transition pour un marché concurrentiel de l’électricité pour 2021-2025, qui pourrait ouvrir le marché à la concurrence, améliorer la qualité, la fiabilité et la stabilité de l’approvisionnement électrique grâce à une gestion efficace du secteur par des entreprises d’État transformées, et créer un marché de gros et de détail concurrentiel.

Ce concept adopte les modèles suivants pour parvenir à un marché de gros de l’électricité concurrentiel :

  • Échanges dans le cadre d’accord bilatéraux (marché mensuel) : La première phase prévoit la libéralisation des compagnies d’électricité et l’obtention de licences pour les entreprises privées qui souhaitent vendre de l’électricité. Cette approche axée sur le marché devrait améliorer la qualité des produits et contribuer à la baisse des prix.
  • Marché « day-ahead » (J-1) : Au cours de la deuxième phase de transition, un gestionnaire du réseau de distribution sera mis en place et les fonctions de vente aux consommateurs seront progressivement transférées aux fournisseurs. Ceux-ci seront autorisés à vendre de l’électricité aux consommateurs dans le cadre d’une licence. Les consommateurs pourront acheter de l’électricité sur une plateforme en ligne ou par l’intermédiaire du fournisseur de leur choix.
  • Marché infrajournalier : La troisième étape concerne le marché infrajournalier (à l’heure) qui implique l’achat en ligne de l’excédent de la production horaire ou la vente en ligne du déficit de la consommation horaire d’électricité, lesquels auront lieu dans la salle des marchés.

Cette note, qui n’a pas encore été complètement adoptée en raison du contexte géopolitique actuel, est en cours d’examen.

Projets d’énergies renouvelables et financements nécessaires

Combiner d’ambitieux objectifs de développement durable (comme la neutralité carbone) et des mécanismes modernes d’échange de l’énergie nécessite des investissements conséquents, que ce soit au niveau du réseau, de la modernisation des infrastructures datant de l’ère soviétique, de l’amélioration de la qualité et du stockage ou encore de la gestion de l’intermittence technique.

Dans ces domaines, les lois adoptées en 2019 sur les énergies renouvelables et les PPP ont permis le lancement de nombreux appels d’offres de type construction-exploitation-transfert pour l’éolien et le solaire jusqu’en 2022. Le gouvernement est épaulé dans cette démarche par les plus grandes institutions financières de développement, telles que la Société financière internationale, la Banque asiatique de développement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.

À ce jour, cinq appels d’offres ont été conclus pour un minimum de 800 MW dans l’éolien et le solaire. Ces appels d’offres consistent généralement en la conception, le financement, la construction, l’exploitation, la maintenance et le transfert de centrales électriques de grande envergure. Jusqu’à présent, ils ont rencontré un grand succès auprès des acheteurs et attiré des leaders du développement tels que Masdar, Acwa Power et Total Eren, qui ont proposé des tarifs historiquement bas.

Accords bilatéraux signés par des IPPs par technologie (en bleu, solaire, en vert, éolien).

Graph : Finergreen

Néanmoins, il faut garder à l’esprit que le gouvernement prend un risque en ouvrant un marché à un nombre limité d’acteurs. En effet, allouer 92 % d’un secteur tout entier à deux compagnies ne va pas sans risques. Preuve en est le taux de couverture des appels d’offres (soit le nombre de soumissionnaires finaux sur le nombre de candidatures qualifiées), qui est bas (n’atteignant parfois que 25 %) et représente entre 4 et 10 % des manifestations d’intérêt. Cela signifie que certains partenaires seront découragés par une concurrence qu’ils jugent trop féroce et déséquilibrée.

Pour plus de détails, voir les tableaux ci-dessous :

L’Ouzbékistan prévoit de développer environ 9,9 GW d’énergies renouvelables d’ici 2030, dont 5,24 GW feront l’objet d’un appel d’offres d’ici à 2030. Au vu des remarques mentionnées ci-dessus, le gouvernement a adapté les règlementations pour parvenir à des propositions plus équilibrées, pour lesquelles un soumissionnaire ne peut se voir confier qu’un seul projet sur le segment pour lequel il est qualifié. Cette mesure devrait promouvoir la diversification des fournisseurs d’énergie.

Estimation de la capacité ajoutée d’ici 2030.

Image : Finergreen

Statut des projets d’énergies renouvelables. 1 – capacité ne faisant pas encore l’objet d’un appel d’offres (AO) 2 – AO annoncé 3 – AO en cours 4 – Signés par la voie d’accords bilatéraux 5 – AO public

Image : Finergreen

Caractéristiques et géographie des différents appels d’offres dans le pays.

Image : Finergreen

La législation a elle aussi été adaptée afin de garantir la « bancabilité » des projets. Ainsi, la création d’une entité ad hoc ne faisait pas partie du modèle d’origine. Désormais, les modèles d’appels d’offres proposent, entre autres avantages :

  • Une exemption du gouvernement pour les projets PPP qui interdisent l’indexation sur les devises étrangères pour les paiements effectués dans la monnaie ouzbèke. La plupart des accords d’achat d’électricité passés avec NEGU seront désormais indexés sur le dollar des États-Unis.
  • Les amendements au code foncier permettent désormais aux droits au bail de servir de garantie aux prêteurs internationaux, bien que la propriété foncière soit toujours strictement réservée aux ressortissants ouzbeks.
  • Garantie partielle des risques souverains et soutien de la MIGA pour encourager les banques commerciales dans le cas où l’acheteur est une entité dont la solidité n’a pas pu être avérée et qui souffre de la solvabilité « limitée » de l’Ouzbékistan, récemment noté BB- par Fitch.

Tous ces éléments ont réussi à atténuer le risque de liquidité alors que les institutions financières privées ont réitéré leur préférence pour des accords d’achat d’électricité à long terme.

Conclusion

D’une manière générale, il subsiste un risque de type « sub-investment grade », en particulier dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Celle-ci a des répercussions directes pour l’Ouzbékistan, notamment l’augmentation des risques externes liés à la sécurité eu égard à la détérioration potentielle des relations politiques avec la Russie.

La guerre aura en outre des conséquences économiques en Ouzbékistan, où l’on s’attend à une baisse de la demande externe, une hausse de l’inflation et des transferts de fonds moins importants. Néanmoins, le gouvernement a fait preuve d’une grande résilience et de persévérance dans la mise en œuvre de ses réformes en vue d’atteindre ses objectifs.

L’intérêt du marché semble être au rendez-vous, ce qui confirme la volonté des différents acteurs à prendre part à la transformation du modèle énergétique ouzbek.

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