Quel est l’avenir du solaire dans l’investissement ESG ?

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D’après pv magazine International

En août dernier, le géant de la notation Moody’s prévoyait que les émissions d’obligations vertes, sociales, durables et liées à la durabilité (GSSS) atteindraient 1 billion d’euros en 2022. Bloomberg Intelligence a estimé que les actifs ESG mondiaux étaient en passe de franchir la barre des 53 billions d’euros d’ici à 2025, ce qui représente plus d’un tiers de tous les actifs sous gestion. Et lorsqu’un tiers des investissements mondiaux sont étiquetés ESG (pour critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance), on ne parle plus de tendance, mais de transformation.

Nous commençons donc à assister à un changement d’orientation, dans lequel la pérennité opérationnelle devient un élément indispensable, et ce quel que soit le produit vendu. Comme l’indique Mia d’Adhemar, Responsable de GRI Sector Standards, « le fondement de la publication d’informations en matière de durabilité pour les entreprises, c’est la transparence concernant ses impacts sur l’économie, l’environnement et la population. Ces impacts peuvent être négatifs ou positifs, à court ou à long terme, intentionnels ou non, réversibles ou irréversibles ».

Répercussions négatives

Ainsi, dans les lignes directrices qu’elle propose concernant la publication d’informations en matière de durabilité, l’UE exige d’étudier l’impact de l’activité sur l’économie, l’environnement et la société de manière plus large et d’établir des rapports sur les « impacts négatifs potentiels » de l’activité. Si la version définitive de ces lignes directrices n’a pas encore été adoptée, toute entreprise souhaitant avoir accès à un financement dans le cadre de la Taxonomie européenne pour des activités durables aura l’obligation de publier des informations en matière de durabilité. D’importants financements seront en jeu, ce qui signifie que la pérennité opérationnelle sera aussi importante que les produits eux-mêmes.

D’après les projections de l’UE, 25 % des besoins en électricité du contient pourraient être couverts par les systèmes solaires en toitures.

Image : Sharp

Kent Halliburton, président et directeur opérationnel de la plateforme d’extraction de crypto-monnaie Sazmining, souligne que la contribution du solaire permet à d’autres entreprises d’atteindre leurs critères ESG et leurs objectifs de zéro émission nette : « Preuve en est la hausse des achats d’obligations dans le solaire par les sociétés d’investissement. Entre janvier et mars 2022, on a déjà assisté à des ventes d’une valeur d’environ 2 milliards d’euros d’obligations dans le solaire, soit deux fois plus que sur la même période en 2020 et 2019 ».

L’attrait du solaire

Le solaire est un produit à zéro émission nette très attrayant qui génère de l’électricité bas carbone. Selon le rapport récent de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sur les chaînes d’approvisionnement du solaire, si toute la chaîne de valeur était relocalisée (comprenant le polysilicium, les lingots, les wafers, les cellules et l’assemblage des modules), il suffirait que les modules solaires PV de production européenne fonctionnent entre trois et cinq mois pour que la quantité d’électricité propre générée compense les émissions liées à leur fabrication. En outre, ils sont actuellement moins onéreux que la plupart des autres solutions existantes.

D’aucuns ont exprimé leurs inquiétudes face à la montée continue des prix du solaire, 2021 ayant vu l’inversion d’une décennie de baisse. Cette dernière était essentiellement due à la hausse des coûts du polysilicium. Comme l’explique Peter White, directeur général de Rethink Technology Research, « la filière est sous tension en raison de la pénurie de polysilicium, de verre et de certains métaux nécessaires au solaire, mais cette situation est en grande partie artificielle, les États-Unis et l’Inde utilisant les droits de douane pour empêcher les produits PV fabriqués en Chine de pénétrer sur leur marché. Tout rentrera dans l’ordre d’ici la fin 2024, à mesure que de nouvelles usines de polysilicium ouvriront leurs portes ».

Proposer une solution qui génère de l’électricité bas carbone à coût réduit a de quoi faire du photovoltaïque le candidat idéal pour les financements ESG. Toutefois, le secteur est aujourd’hui davantage sommé de répondre aux préoccupations concernant notamment la pollution toxique liée à la fabrication, la gestion des ressources, le travail forcé sur la chaîne d’approvisionnement.

Les enjeux de la chaîne d’approvisionnement

Adham Makki, responsable de la recherche sur la décarbonation chez EcoAct, une entreprise d’Atos, met en garde : la fabrication des cellules de photovoltaïque est un procédé à forte intensité d’utilisation des ressources naturelles qui nécessite des quantités importantes d’eau et de matériaux industriels. « Le procédé de fabrication entraîne des déchets toxiques, recourt à des pratiques d’extraction minière non durables et provoque des pertes d’habitats, autant d’éléments qui nécessitent une réflexion approfondie si nous voulons atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) », précise-t-il.

Le problème des conditions de travail est lui aussi de plus en plus médiatisé. En 2021, le Helen Kennedy Centre a publié un rapport qui examine les accusations de travail forcé dans la région du Xinjiang, d’où provient pas moins de 50 % du polysilicium mondial.

Les États-Unis ont d’ores et déjà imposé des restrictions aux importations en provenance de la région du Xinjiang, et la Solar Energy Industries Association (SEIA), installée aux États-Unis, a lancé une initiative pour que les entreprises s’engagent à éradiquer ce genre de pratiques dans leur chaîne d’approvisionnement. Des entreprises telles que Tesla et JinkoSolar US l’ont déjà signée.

« Le secteur prend très au sérieux ces informations concernant le travail forcé sur sa chaîne d’approvisionnement. SolarPower Europe est actuellement à pied d’œuvre, en collaboration étroite avec nos membres, afin d’améliorer la transparence tout au long de la filière. En partenariat avec Solar Energy UK, SolarPower Europe développe un Programme de contrôle de la chaîne d’approvisionnement visant à garantir que les modules photovoltaïques qui arrivent en Europe respectent les normes internationales en termes de durabilité et de droit du travail », affirme Dries Acke, directeur politique chez SolarPower Europe. À n’en pas douter, ce genre de préoccupation constituera un problème pour les investissements ESG.

Nouvelles opportunités

Des opportunités colossales s’ouvrent au secteur de l’énergie solaire. La demande et l’échelle requise dans ce secteur sont considérables, et d’après les prévisions, le solaire fournira plus de 16 % de l’électricité mondiale d’ici 2050. Cela signifie une demande en éléments chimiques tels que le gallium et l’indium, ainsi qu’en métaux comme l’argent et le cuivre. La dépendance à certains produits tels l’aluminium, dont la production émet de grandes quantités de carbone, signifie en outre qu’il faut décarboner d’autres secteurs afin de réduire les émissions du solaire. Tous ces éléments vont favoriser la demande en nouveaux matériaux et nouvelles technologies, mais aussi promouvoir des voies novatrices pour l’utilisation de l’énergie solaire.

Concernant les enjeux croissants liés à l’utilisation des sols, de nouvelles approches déjà en place entraînent une croissance du marché et peuvent venir étoffer les arguments en faveur des critères ESG. Selon les projections de l’UE, 25 % des besoins en électricité de la région pourraient être couverts par les seules installations solaires sur toiture. Le PV flottant permet d’associer génération d’électricité et ombre pour les masses d’eau, ce qui limite l’évaporation. Quant aux modules bifaciaux, ils contribuent au développement de l’agrivoltaïsme, à la biodiversité et à la protection de la nature en apportant de l’ombre, en réduisant les besoins en irrigation et en protégeant cultures et animaux d’élevage des intempéries.

Le recyclage aura aussi un rôle de premier plan à jouer pour répondre à la demande. « Le recyclage peut avoir des retombées positives sur les plans économique et environnemental, en renforçant la sécurité des approvisionnements en matières premières et en évitant que les matériaux contenus dans les panneaux solaires et présentant une valeur économique, tels que le cuivre et l’argent, ne finissent à la décharge. En outre, réutiliser d’anciens matériaux permettra à terme de faire baisser la demande en nouveaux matériaux », explique Adham Makki, responsable de la recherche sur la décarbonisation chez EcoAct.

Au niveau mondial, le recyclage des matériaux est insuffisant. Cette situation s’accompagne d’un manque d’incitations financières visant à mettre en place des mesures de recyclage. Néanmoins, un cadre réglementaire d’accompagnement pourrait y remédier, et permettre au secteur du photovoltaïque d’utiliser des ressources en déclin de la manière la plus efficace et rationnelle possible.

Aux États-Unis et au Canada, on assiste déjà à un intérêt croissant pour le recyclage. « On y considère les composants et les processus de manière individuelle, ce qui correspond vraisemblablement à 10 % du marché pouvant aujourd’hui être réutilisé, un chiffre en progression. La difficulté réside dans la complexité de la chaîne d’approvisionnement du PV, qui comprend du silicium, du cuivre, du verre, entre autres matériaux. La récupération nécessite beaucoup de main d’œuvre », résume Jason Smith, expert Chaîne d’approvisionnement et de valeur durable chez PA Consulting.

Une opportunité considérable

Selon Alan Duncan, fondateur de Solar Panels Network USA, avec la montée des critères ESG, nous prenons davantage conscience qu’il faut être attentif à notre filière ainsi qu’à ses impacts opérationnels.

« Nous travaillons en étroite collaboration avec nos fournisseurs afin de nous assurer qu’ils respectent nos normes strictes en matière de durabilité, et nous recherchons constamment des moyens de réduire notre impact sur l’environnement », ajoute Alan Duncan. Des actions ont déjà été prises pour relever certains défis liés au photovoltaïque, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de croissance pour le secteur et sa filière.

Inévitablement, les réductions d’émissions que permet le photovoltaïque viendront contrebalancer les inquiétudes liées à la chaîne d’approvisionnement des investisseurs en ESG et en durabilité. Toutefois, pour qu’une telle compensation soit possible, il faut que le secteur dans son ensemble soit beaucoup mieux compris et plus transparent. La traçabilité sera donc un élément indispensable à l’avenir. Il s’agit d’une demande croissante dans de nombreux secteurs, car les acheteurs veulent savoir ce qu’on leur vend.

Si des notations existent pour le secteur du photovoltaïque, les critères ESG font aussi face à de nombreux défis en raison de la multiplication des cadres différents qui s’appliquent et du manque d’harmonisation en matière d’obligation d’information.

Le cadre de l’UE en matière de durabilité, dispositif législatif unique, permettra de régler certains problèmes. Jason Smith en est convaincu : nous assistons à une transformation radicale de l’approvisionnement et de la fabrication dans le secteur du solaire. Ce dernier doit commencer à mettre en place des facteurs ESG dans sa filière s’il veut avoir accès aux milliards d’euros de capital disponible pour financer ce virage.

Par Felicia Jackson ; Traduction assurée par Christelle Taureau.

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