[Bilan 2022] Sortir ou non de manière anticipée des contrats CRE : le dilemme des producteurs

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Avec la hausse des prix de l’électricité sur le marché Spot, un certain nombre d’exploitants de centrales photovoltaïques ont résilié leurs contrats d’achat ou de complément de rémunération avant échéance pour se diriger sur le marché. Fin septembre, la Commission de régulation de l’électricité évoquait un volume de 3,7 GW sur toute la France. Votre cabinet a accompagné juridiquement certains de ces producteurs dans leurs démarches de résiliation. Pouvez-vous nous décrire concrètement l’ampleur du phénomène ?

Christelle Salmon-Lataste : Tout début 2022 déjà, certains des producteurs que nous représentons ont commencé à s’intéresser aux cotations sur le marché, pour avoir une idée des prix Spot, dans l’éventualité d’une rupture de contrat. Puis très vite, nous avons travaillé sur les premiers cas de résiliation de contrats qui étaient très proches de l’échéance. On peut vraiment parler de raz-de-marée sur 2022 : le phénomène a été plutôt massif.

Existe-t-il une typologie de contrats pour lesquels il est intéressant pour le producteur de rompre son contrat CRE ?

Ces sorties de contrat concernent toutes les filières de production d’énergie, en particulier les filières éolienne, hydraulique et solaire photovoltaïque. Dans le cas du solaire, une grande partie des actifs dont nous nous sommes occupés étaient des contrats anciens, qui ne prévoyaient pas de pénalités à payer à EDF OA en cas de résiliation anticipée à l’initiative du producteur. En effet, depuis 2016, les cahiers des charges des appels d’offres ont introduit un dispositif de pénalité ou de remboursement en cas de rupture anticipée.

L’autre grand critère à examiner concerne le financement de l’actif, à savoir si la dette a été payée ou non. La plupart n’avait plus de dette à payer, ce qui signifie que la différence de prix entre le prix EDF OA et le prix marché peut être entièrement réinvestie dans le développement de nouveaux projets. Dans ce cas, nous sommes dans un cas assez “simple” de résiliation de contrat telle que prévue dans les appels d’offres.

En revanche, pour ceux qui ont encore une dette à payer, il faut alors entrer en discussion, parfois complexe, avec les prêteurs. En effet, la résiliation anticipée des contrats d’achat avec EDF OA, acteur sécurisant pour les banques, est aussi une clause de renégociation de la dette. Cela suppose donc de trouver un nouvel accord avec les prêteurs, et celui-ci peut introduire des contreparties fortes, comme des garanties sur fonds propres ou sur des comptes bloqués au service de la dette. Cela reste un dossier lourd à gérer pour les porteurs de projets.

Est-il risqué de rompre trop tôt son contrat ?

Je dirais que la réponse dépend de la situation de chaque actif : y a-t-il des pénalités à payer, ce qui amputera une partie de la marge espérée ? La dette a-t-elle été payée, comme nous l’avons vu précédemment ? En général, les dossiers dont nous nous sommes occupés concernaient des contrats à quelques mois de leur échéance, le plus long avait une durée de 13 mois. Au delà, c’est un vrai risque pour le producteur, en raison de la volatilité des prix.

Vers quels types de nouveaux contrats se dirigent les producteurs ?

Encore une fois, il existe plusieurs configurations en fonction des cas. Les producteurs ont la possibilité de nouer des Corporate PPA (Power Purchase Agreement). Mais dans les faits, cela suppose une bonne connaissance de ce type de contrat et les négociations sont souvent longues pour que toutes les parties obtiennent des conditions satisfaisantes.

Le plus courant est donc de passer par un contrat d’agrégation. Un producteur qui a encore du financement aura tout intérêt à nouer un contrat de durée longue, c’est-à-dire en moyenne de trois à cinq ans, car c’est la formule qui rassure le plus les banques. Il aura également intérêt à s’adosser à un agrégateur ayant une grande surface financière ou appartenant à une maison-mère pouvant apporter de solides garanties.

Certains exploitants, en particulier quand la dette est acquittée, préfèrent jouer sur la flexibilité et rester opportunistes. Ils nouent alors des contrats courts de quelques mois à un an avec un agrégateur, ce qui leur laisse la possibilité d’en changer facilement. Mais cette formule suppose aussi de rester en veille permanente pour suivre l’évolution des prix sur le marché et de bien connaître les typologies d’agrégateurs. De plus, il ne faut pas uniquement regarder les prix proposés, qui peuvent être parfois très attractifs, mais également les conditions du contrat, comme le montant des pénalités de renégociation ou de résiliation par exemple… C’est un équilibre à trouver.

Pour 2022, vous parlez d’un raz-de-marée. Qu’en sera-t-il pour 2023 ?

J’ignore si le niveau de résiliation de 2022 va se poursuivre, car il faudra observer l’évolution de la réaction du gouvernement. Le déplafonnement va se poursuivre sur 2023, de plus, la CRE et le gouvernement travaillent sur l’instauration d’une taxe additionnelle qui s’appliquera de manière rétroactive sur tous ceux qui ont résilié leurs contrats de manière anticipée. Le mécanisme et le montant appliqué n’ont pas encore été précisés, donc il y a encore beaucoup d’inconnues.

Et qu’en est-il de la mesure d’urgence prévue par la CRE pour les parcs mis en service entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2024 ? 

Tous les producteurs que nous accompagnons ont fait le choix de bénéficier de la mesure d’urgence prévue par la mise à jour d’août 2022 des cahiers des charges des appels d’offres PPE2 et CRE4 et qui leur permet de valoriser leur électricité pendant 18 mois hors complément de rémunération. Il faut dire que la hausse des coûts de financement et celle des prix des matériels photovoltaïques rendent intenable le modèle économique de certains projets photovoltaïques.

Il est cependant intéressant de constater que d’un côté, les autorités sanctionnent ceux qui souhaitent sortir de manière anticipée qu’elles accusent de profiter d’un “effet d’aubaine”, mais que de l’autre, elles leur donnent la possibilité d’aller sur le marché pendant 18 mois. Pourtant, dans les deux cas, la logique est la même : trouver du financement pour faire sortir les projets de terre. Or, la France a vraiment besoin d’accélérer dans la construction de nouveaux parcs photovoltaïques si elle veut atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés pour 2050.


Christelle Salmon-Lataste

Image : Simon Associés

Christelle Salmon-Lataste est en charge du département Financements Structurés au Cabinet Simon Associés. Elle intervient sur tous les aspects relatifs à la dette des entreprises.

Elle a développé une forte expertise en financement corporate et en financement de projets en qualité de conseil des emprunteurs/sponsors ou des institutions financières (banques, fonds de dette) ou des fonds d’investissement sur des opérations en France ou à l’international (notamment Europe, US, UK, Afrique).

Elle intervient sur tous types de financements notamment : des crédits syndiqués avec critères ESG (si applicable), des financements d’acquisition, des financements de projet en matière d’énergies renouvelables ou d’infrastructures, financement immobilier, crédit export etc. mis en place sous forme de prêts bancaires ou d’émissions obligataires (EuroPP, émissions obligataires de type OBSA ou OCA) ou encore sur les aspects de droit français d’émissions obligataires de type high yield.

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