[Entretien] « 2024 est une année clé pour la structuration du marché de l’hydrogène vert en Europe »

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pv magazine France : Beaucoup de projets de construction d’unités de production d’hydrogène vert ont été repoussés, voire annulés, ces deux dernières années. Vos prévisions sont-elles plus optimistes pour 2024 ? 

Nerea Martinez : L’hydrogène vert offre une alternative prometteuse pour les secteurs qui sont difficiles à électrifier. Cependant, il s’agit d’une activité très capitalistique et son développement est intimement lié aux montants d’investissement des projets. Ces deux dernières années, les promoteurs ont souffert de la pression inflationniste sur les matières premières et des pénuries dans les chaînes d’approvisionnement, ce qui a enchéri les coûts de certains projets jusqu’à 50 % et entraîné un retard dans leur exécution finale.

Nerea Martinez, experte du marché de l’hydrogène pour le cabinet LCP Delta.

Image : DR

Toutefois, il est important de noter que les coûts des matières premières, ainsi que les taux d’intérêt, devraient baisser en 2024, ce qui pourrait conduire le secteur de l’hydrogène à se redresser dans les prochains mois.

Est-ce que tous les projets prévus pourront voir le jour ?

Il est à prévoir que la taille initiale de certains projets devrait être réduite afin de faire rentrer les coûts de construction dans les budgets initiaux. D’autre part, certains projets, qui avaient bénéficié de financements publics, sont au point mort en raison de l’explosion des budgets. Je pense par exemple au projet Westküste 100 en Allemagne, qui a été abandonné malgré l’octroi d’un financement public de 30 millions d’euros et malgré le fait qu’il disposait d’un client, la raffinerie de pétrole de Heide. Les partenaires ont expliqué leur décision par une trop forte augmentation des coûts, mais aussi par l’absence de perspectives économiques liées à des règles de marché non clarifiées.

Dans ces conditions, quelle place l’hydrogène renouvelable peut-il prendre dans le système énergétique européen ?

Certains doutes subsistent quant à la possibilité d’utiliser l’hydrogène à grande échelle mais les premiers appels d’offres de 2023 nous en disent davantage sur l’ampleur du soutien disponible pour les projets futurs. Toutefois, dans cette première phase, il est intéressant de noter qu’il existe une grande disparité entre les différents régimes d’aide publique : par exemple, lors de la première période de l’appel d’offres Hydrogen Allocation Round 1 (HAR1) au Royaume-Uni, 11 projets ont été approuvés pour un prix d’exercice moyen pondéré de 241 £/MWh, ce qui revient à un prix moyen de 9 £/kg (11 €/kg). Cette part sera sûrement inférieure car elle sera déduite du prix que pairera le client final. Il est également important de noter que sur les 250 MW appelés, seule la moitié (125 MW) a été souscrite, ce qui s’explique par une certaine immaturité des offres.

D’un autre côté, l’appel d’offres Power-to-X du Danemark a été remporté par cinq projets représentant une capacité de 180 MW d’H2 vert pour des subventions inférieures à 1 €/kg. C’est l’un des niveaux les plus bas en Europe. Enfin, au milieu, la première vente aux enchères de la Banque européenne d’hydrogène qui s’est clôturée en février 2024 avait fixé un plafond de 4,5 €/kg, ce qui peut constituer une référence européenne permettant aux développeurs de connaître les niveaux de soutien qu’ils peuvent obtenir pour leurs projets. Cependant, des facteurs externes tels que la taxation du carbone pourront modifier l’équilibre du marché.

Et qu’en est-il de leur capacité à signer des contrats d’approvisionnement en électricité renouvelable, étant donné l’immaturité du secteur et les risques inhérents ?

Tout le défi est là : avec l’augmentation des prix de l’électricité, nous voyons le marché européen de la production d’énergie migrer d’un régime de soutien public vers des contrats d’achat de gré à gré (PPA). Pour parer à la volatilité des coûts et avancer dans leur stratégie de décarbonation, de nombreux industriels, de tous les secteurs, cherchent aujourd’hui à signer des PPA. Il y a par exemple une grosse demande du secteur informatique, en particulier des centres de données. Cela intensifie la concurrence pour les développeurs de projets d’hydrogène vert, qui doivent faire face à des clients solides et établis qui sont prêts à payer davantage et présentent un profil moins risqué pour les développeurs d’énergie renouvelable.

C’est pourquoi l’on voit de plus en plus de développeurs de renouvelables se positionner également sur le marché de l’hydrogène vert, ce qui leur permet de sécuriser leurs approvisionnements en électricité, tout en maintenant un prix compétitif. Je peux par exemple citer EDP au Portugal ou encore Hyperion Renewables basé à Lisbonne, qui dispose de plus de 640 MW de capacité photovoltaïque sur la péninsule ibérique et qui développe actuellement un site de production d’hydrogène vert financé avec des fonds européens.

Par conséquent, un véritable soutien de la part des gouvernements et de l’industrie est crucial pour amorcer le marché…

Il n’a jamais été aussi important de faire décoller les projets “premiers du genre” et de partager les enseignements cruciaux qui en découlent. A ce titre, un changement fondamental est à attendre en 2024, l’hydrogène devenant un élément à part entière de la planification du système de distribution et de stockage de l’hydrogène. Cette année, le Royaume-Uni devrait ainsi mettre en place le rôle d’opérateur du système futur (FSO), chargé de planifier stratégiquement les réseaux de gaz et d’électricité, y compris pour l’hydrogène. De son côté, la Commission européenne a également adopté la sixième liste de projets d’intérêt commun, dans laquelle 40 % des projets d’infrastructure sélectionnés concernent l’hydrogène.

Enfin, d’autres rounds de financement public sont à attendre, notamment la deuxième période de l’appel d’offres au Royaume-Uni avec un volume appelé de 875 MW. Compte-tenu de la sous-souscription dont nous avons parlé précédemment, nous nous attendons à un effet de rattrapage, tout en sachant que le marché est encore en phase de reprise. Enfin, la Banque Européenne de l’hydrogène prévoit un second lot d’enchères à l’automne, pour un cumul de trois milliards d’euros.

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