Reportage dans la plus grande centrale solaire citoyenne de France

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Pluie fine et ciel gris en cet après-midi de janvier, mais l’ambiance reste studieuse et enthousiaste. Les animateurs du réseau GECLER (Grand Est citoyen et local d’énergies renouvelables) et d’Energie Partagée prennent la tête d’un groupe d’une douzaine de personnes, emmitouflés dans leurs manteaux, devant l’ancienne base militaire du 15e Génie de l’Air. Toutes sont venues assister à la visite de la centrale photovoltaïque d’Ecrouves, un projet pionnier dans le Grand Est.

Mis en service en 2024, le parc solaire se veut un exemple de projet citoyen ayant su conjuguer ambition environnementale et exigences économiques. Situé sur un ancien site militaire, il illustre les compromis nécessaires pour rendre viable une initiative énergétique locale.

Le parc citoyen des records

Quand on emprunte les allées de la centrale solaire, rien ne semble différer des installations photovoltaïques classiques. Pourtant, le projet de 11,87 MW est le premier parc photovoltaïque au sol citoyen du Grand Est et le plus le plus grand projet citoyen de France. Son budget de 9 millions d’euros a permis d’installer 19 500 panneaux solaires sur 13 hectares, produisant 12,7 GWh par an, soit l’équivalent de la consommation de 2 740 foyers, chauffage inclus.

Le projet a vu le jour en 2018 sous l’impulsion du Pays Terres de Lorraine, qui a lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour le développement de projets photovoltaïques au sol sur son territoire. Contre toute attente pour un projet de cette ampleur, c’est un groupement citoyen qui l’a remporté, porté par la SCIC Enercoop Nord Est (Energic), la SEM SIPEnR (« la maman des SEM du Grand Est », comme certains l’ont surnommée) et l’association Energie Partagée.

Des compromis pour un projet ambitieux

Pour mener ce projet à bien, de nombreux ajustements ont été nécessaires. Certains ont été fait de bonne volonté, comme en ce qui concerne le choix des panneaux. Fournis par Photowatt avant la fermeture de l’entreprise, ils répondent à une exigence de la communauté de communes, propriétaire du terrain, « un non-négociable », qui faisait quand même flamber le prix de l’installation. Coup de chance, la communauté des communes est aussi propriétaire du terrain et accepte d’abaisser le prix du loyer en échange d’un approvisionnement en panneaux solaires fabriqués en France. « Cela nous permettait de rester dans un équilibre financier acceptable », explique l’animatrice d’Energie Partagée. Pour la suite de l’aventure, le parc dispose encore de quelques raques de panneaux « de rechange », sinon il faudra envisager le remplacement ou la réparation…

Note : altération visible (et esthétique) qui ne provoque pas de défaut de production du panneau.
Note : altération visible (et esthétique) qui ne provoque pas de défaut de production du panneau.

Image : Marie Beyer

Pour le développement et la construction les contraintes sont aussi rudes. Si les porteurs du projet souhaitaient faire appel à des entreprises locales, en Meurthe-et-Moselle, il a été plus difficile de prévu de trouver des maîtres d’œuvre disponibles et capables de porter un projet de cette ampleur. Et l’agenda n’a pas aidé : lauréat de l’appel d’offres PPE 2 en 2022, le parc devait être construit le plus rapidement possible pour générer des revenus et, en même temps, la présence d’espèces protégées, dont la pie-grièche écorcheur, imposait que les travaux se déroulent entre octobre et avril. Ces impératifs ont conduit les porteurs du projet à recourir à une entreprise toulonnaise pour l’ingénierie, la fourniture et la construction (EPC). Côté montage, les structures ont été livrées par une entreprise belge, qui a elle-même sous-traité l’installation à une société hongroise – là aussi, un compromis annoncé comme nécessaire pour contenir les coûts.

Intégrer les habitants et les communes aux réflexions environnementales

Comme souvent avec les sites anthropisés laissés à l’abandon, l’ancien terrain militaire d’Ecrouves s’est transformé en un refuge pour la faune locale. Au cœur du site, une friche buissonnante a été préservée pour protéger un couple de pies-grièches écorcheurs. Ce bosquet dense, qui attire immédiatement l’œil des visiteurs, se dresse à proximité d’un petit enclos vide, lui aussi écarté des aménagements afin de préserver les espèces remarquables qui y trouvent refuge.

Un suivi écologique est prévu sur dix ans, avec des visites tous les deux ans pour évaluer l’efficacité des mesures mises en place et ajuster si nécessaire les dispositifs. Parmi eux, l’installation de fils barbelés perpendiculaires aux panneaux solaires, à une hauteur de deux à trois mètres, devrait permettre aux pies-grièches de continuer à chasser en toute tranquillité. « C’est un test, nous verrons si cela fonctionne », explique un membre du projet. Ces initiatives, associées à la préservation des mares et aux passages aménagés pour les biches, ont convaincu la Mission régionale d’autorisation environnementale (MRAE) en 2020. L’instance a estimé que l’impact du projet sur la biodiversité serait négligeable, mais reste circonspecte sur les barbelés qui pourraient tout aussi bien géner les autres espèces d’oiseaux et les chauves-souris…

Si la question de la biodiversité a été largement prise en charge par les bureaux d’études, l’insertion paysagère a quant à elle particulièrement mobilisé les habitants. Soucieux de l’intégration de la centrale dans le paysage, ils ont réfléchi à sa visibilité, même depuis les sentiers de randonnée environnants. Le réseau GECLER, qui accompagne les projets citoyens de production d’énergies renouvelables dans le Grand Est, a également été impliqué pour favoriser une concertation locale.

Aucune tranchée n’a été creusée en raison de la typologie humide du site.

Image : Marie Beyer

Cette démarche participative s’est concrétisée par quatre réunions publiques, deux ateliers de co-construction (à partir desquelles les propositions des citoyens ont pu être intégrées), ainsi que des visites et des activités pédagogiques avec les élèves de l’école élémentaire Pierre et Suzanne Mathy. Les enfants ont d’ailleurs contribué à la réalisation de panneaux pédagogiques (montrés en avant-première aux visiteurs mouillés) qui seront installés autour de la centrale pour proposer aux promeneurs une meilleure compréhension du projet et de ses enjeux écologiques.

Finance et gouvernance participatives

« L’enthousiasme des habitants a été au rendez-vous, même si l’on regrette l’absence d’un groupe de citoyens ayant créé une société d’investissement dédiée au projet », souligne Sylvain Balland, du réseau GECLER. Contrairement à un financement participatif classique, où les citoyens participent à la dette du projet (avec un remboursement prévu sous 5 à 7 ans), un projet dit citoyen les implique directement dans les fonds propres. À terme, les citoyens détiennent bien 56 % des fonds propres de la société de projet d’Écrouves, mais ils l’ont fait via des investissements dans Energic ou Énergie Partagée – et non en constituant une société locale spécifique, comme c’est parfois le cas.

Néanmoins, les habitants ont pu découvrir les principes de l’épargne éthique, un pilier des projets citoyens et un « enjeux de démocratie locale » que le projet avait à coeur de transmettre. « Nous avons organisé des ciné-débats, dont l’un questionnait les enjeux de la finance verte, avec la diffusion du film documentaire “La finance lave plus vert. C’était l’occasion d’aborder la question de l’épargne et de sensibiliser les citoyens à la destination de leur argent », explique Sylvain Balland.

Note réjouissante pour les porteurs de projet : la communauté des communes a engagé 100 000 euros dans les fonds propres, portant l’actionnariat public à environ 15 %, au côté de SIPEnR qui détient 39 % du capital. Pour contexte, la SEM est elle-même est détenue par le Syndicat Intercommunal SIPPEREC, l’établissement public de la Caisse des dépôts et Consignation, des SEM de collectivités intervenant dans les énergies renouvelables (Vienne, Indre-et-Loire, Loire) et d’Energie Partagée.

Au-delà de son impact environnemental, le projet de l’Espace du Génie veut incarner une gouvernance participative à grande échelle. Les habitants d’Écrouves ont été associés à chaque étape, de la conception à la mise en service. A leur côté, un comité de pilotage, réunissant les communes, la communauté de communes et le Pays Terres de Lorraine, a été mis en place, fonctionnant sur le principe « une structure = une voix ». Ce comité a participé aux prises de décision stratégiques dès le lancement du projet avec les développeurs. Cette gouvernance participative vise à garantir transparence et ancrage local pour renforcer la légitimité du projet.

Des perspectives prometteuses

Des ajustements sont encore à l’étude. Si le projet initial prévoyait la mise en place d’un éco-pâturage, la teneur en hydrocarbures du sol s’est révélée trop élevée pour valider cette option. « Il faudra analyser ce que l’herbe absorbe pour déterminer si cette solution est envisageable à l’avenir », précise notre animatrice. Par ailleurs, un mur anti-bruit sera installé pour réduire les nuisances sonores ressenties par les riverains, notamment en été.

Une petite partie du site a nécessité la mise en place de bases bétonnées pour installer les structures. Le reste a pu être implanté directement dans le sol.

Image : Marie Beyer

Sur le plan financier, le projet affiche un taux de rentabilité interne (TRI) de 6 %, permettant un amortissement sur quinze ans. « C’est dans la moyenne pour ce type de projets », explique un développeur présent lors de la visite, qui, passionné et curieux, enrichit les échanges de son expertise. « Au-delà de la rentabilité, c’est la dimension citoyenne qui a été le véritable moteur », précise notre interlocutrice d’Énergie Partagée.

Avec la centrale d’Écrouves, le Grand Est s’enhardit sur des projets au sol citoyen de grande ampleur. Plusieurs collectivités pourraient s’intéresser à ce type de développement qui montre une rentabilité mesurée mais réelle, assortie d’un ancrage local important. Si les éoliennes n’ont pas toujours convaincu dans les Vosges, le solaire semble montrer que les énergies citoyennes peuvent être l’affaire des citoyens. Et ce n’est pas parce que le soleil brille moins qu’il ne brille pas dans le Grand Est !

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