[Série flexibilités] En Europe, la congestion du réseau bride déjà le solaire

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La montée en puissance des capacités renouvelables installées confronte l’Europe à une série de nouveaux défis, parmi lesquels la multiplication des heures à prix négatifs, la cannibalisation du solaire – c’est-à-dire la baisse de sa valeur intrinsèque – et la congestion croissante des réseaux de transport d’électricité. Deux pays européens, les Pays-Bas et l’Espagne, sont particulièrement exposés à ces problématiques, bien que les dynamiques et les conséquences observées soient différentes. 

Les Pays-Bas ont été le premier pays européen à alerter, dès 2019, sur la saturation du réseau provoquée par la hausse de la part des énergies renouvelables. Ce phénomène s’explique en grande partie par le succès de son programme de subventions aux énergies renouvelables (SDE). L’entreprise d’électricité Liander, ainsi que les gestionnaires de réseau TenneT et Enexis, ont alors signalé qu’ils disposaient d’une capacité limitée pour accueillir de nouveaux projets d’énergie renouvelable dans les provinces de Drenthe et d’Overijssel, situées dans le nord-est du pays. Quelques mois plus tard, la liste des provinces concernées s’est élargie à la Gueldre, à la Hollande-Méridionale et au Flevoland. Par la suite, l’association des gestionnaires de réseau, Netbeheer Nederland, a commencé à publier des cartes indiquant les nœuds disponibles pour connecter de nouveaux projets. Elle a ensuite lancé une application en ligne permettant d’identifier les zones disposant encore de capacité disponible. 

Le pays pionnier  

« L’ensemble du pays connaît des problèmes de congestion du réseau, à différents moments et à différents endroits, décrit Theo Scholte, porte-parole de Netbeheer Nederland. Nous estimons que la congestion du réseau continuera à être un problème pour les dix à quinze prochaines années ». Le stockage peut jouer un rôle dans l’expansion des capacités, à condition que les batteries ne soient pas impliquées sur les marchés de trading. Si les batteries peuvent aider à réduire les problèmes de congestion, elles sont aussi susceptibles de les aggraver. Elles permettent certes de générer des profits en achetant et en vendant de l’énergie aux moments les plus favorables, ou encore de soutenir le réseau en corrigeant certains déséquilibres passifs. Mais les opérateurs de batteries peuvent aussi choisir de stocker l’énergie à certaines périodes, qui ne sont pas nécessairement celles dont le réseau en a besoin. 

Carte des congestions du réseau aux Pays-Bas.

Image : Netbeheer Nederland

Depuis l’apparition des premiers problèmes de réseau, plusieurs solutions ont été envisagées. En plus de plans ambitieux visant à renforcer et étendre les infrastructures, des transformateurs de grande capacité, des contrats flexibles pour les propriétaires de centrales photovoltaïques et des mécanismes de gestion de la congestion ont été proposés. Le code du réseau a également été modifié et des fournisseurs de services de congestion ont été créés pour jouer le rôle d’intermédiaires entre les différentes parties lors de la mise en place des contrats flexibles. En parallèle, l’effacement (curtailment) inévitable des énergies renouvelables a été largement pratiqué, même au niveau résidentiel, pour réduire la congestion. 

Malgré ces initiatives, le réseau électrique néerlandais continue de souffrir, avec pour conséquence une réduction du développement du solaire au sol qui est passé d’une croissance annuelle de 4 GW à un peu plus de 3 GW. « La situation est telle que de nombreux projets photovoltaïques ont été gelés pendant de longues périodes, voire annulés », confirme Peter Segaar, expert du PV. Et pour ceux qui sont en cours de construction, leur connexion au réseau subit souvent des retards importants par rapport au planning initial. Parallèlement, des projets de stockage à grande échelle sont prévus pour soulager le réseau, mais ces derniers doivent également passer par une procédure d’autorisation longue et particulièrement complexe aux Pays-Bas. 

Épisodes de prix ​​négatifs 

Fin juin 2024, la capacité solaire cumulée du pays atteignait 26,06 GW. Selon certaines projections, les Pays-Bas pourraient atteindre 59 GW de solaire d’ici 2030 et entre 98 et 100 GW d’ici 2035. Pour 2050, les estimations varient entre 100 et 180 GW. « Ces prévisions de croissance ne doivent certainement pas être prises pour argent comptant en ce qui concerne des évolutions futures, surtout si les problèmes de réseau ne sont pas réglés de manière structurelle, prévient Peter Segaar. Les prix des raccordements au réseau continueront d’augmenter, ce qui signifie que le développement solaire coûtera de plus en plus cher. Cela déclenchera un débat politique majeur, car tout le monde sera concerné par la hausse des prix ». 

Entre le 1er janvier et le 14 août, le marché néerlandais EPEX SPOT Day-ahead a enregistré 347 heures de prix négatifs, selon les données du cabinet de conseil néerlandais Stratergy. En 2023, ce nombre s’était élevé à 316 heures pour l’ensemble de l’année. « Le curtailment de l’énergie solaire augmente parce que le nombre d’heures à prix négatifs augmente, tout comme les volumes autorisés à être injectés dans les réseaux locaux, témoigne l’expert. Bien que les opérateurs investissent environ huit milliards d’euros dans l’expansion du réseau, d’énormes problèmes opérationnels et logistiques demeurent, et le scénario futur, au moins pour les cinq prochaines années, reste difficile à anticiper ». 

Un gaspillage d’énergie renouvelable 

Plus au sud de l’Europe, l’Espagne a elle aussi tiré la sonnette d’alarme sur les réseaux et la baisse des prix le 17 avril 2022, lorsque la production solaire photovoltaïque a atteint un pic de près de 13,5 GW de puissance, couvrant jusqu’à 62,5 % de la demande nationale. Un record qui a provoqué dans le même temps une chute spectaculaire du prix de gros de l’électricité qui est passé de 168,5 €/MWh à 3,70 €/MWh. À cette occasion, l’opérateur du réseau national de distribution d’électricité Red Eléctrica de España (REE) a été contraint d’appliquer pour la première fois un écrêtement de la production. Depuis, l’Espagne continue de gaspiller de l’électricité renouvelable. 

L’excédent de production renouvelable par rapport à la demande énergétique, ainsi que l’incapacité du réseau à absorber toute l’énergie produite sur un nœud donné, obligent en effet la REE à stopper totalement ou partiellement certaines centrales éoliennes ou solaires pour éviter la congestion du système. L’intermittence de la production renouvelable, combinée au fait qu’elle soit décentralisée et aux contraintes inhérentes du réseau électrique, entraîne une augmentation des coûts des services de réglage nécessaires pour assurer la stabilité du réseau. 

La construction de centrales photovoltaïques aux Pays-Bas pourrait connaître d’importants retards dans les années à venir.

Image : Statkraft

L’association espagnole Appa Renovables réclame depuis longtemps que les « coupures » gérées par la REE soient officiellement comptabilisées comme telles. En fait, la législation européenne fixe une limite de congestion du réseau électrique de 5 %, à condition que les sources de production propres représentent moins de la moitié de la part de production du mix – un pourcentage que l’Espagne n’a pas encore atteint. Par ailleurs, le coût des marchés de conformité continuera d’augmenter : plus la production d’énergie renouvelable sera importante et bon marché, plus les services de conformité seront nécessaires et coûteux. 

Antidote 

Ces dernières années, cependant, l’écrêtement en Espagne n’a pas augmenté proportionnellement à la part de production renouvelable intégrée au système : il est resté entre 1,5 % et 1,86 % de la production, alors que l’intégration des énergies renouvelables a augmenté de plus de 13 points en deux ans. « Cela s’explique, d’une part, par un meilleur fonctionnement des centrales renouvelables, qui utilisent les marchés d’équilibrage pour réduire leur puissance sans qu’il soit nécessaire de leur imposer des restrictions techniques, note Héctor de Lama, directeur technique de l’association photovoltaïque espagnole UNEF. D’autre part, l’amélioration de l’infrastructure et du fonctionnement du réseau de transport s’accompagne d’une meilleure répartition de la nouvelle production renouvelable, qui se diffuse dans le pays à mesure que le foncier dans les zones propices se raréfie ». 

En 2024, le volume total d’écrêtement a été de 2,4 TWh, soit 1 % de la consommation nationale, chiffre Javier Revuelta, directeur senior du cabinet de conseil AFRY Management Consulting. L’énergie éolienne a été la plus touchée avec 1,3 TWh, en hausse de 29 % par rapport à l’année précédente, tandis que le photovoltaïque a été limité à 0,34 TWh, soit 50 % de moins qu’en 2023. 

En 2024, l’Espagne a enregistré un total de 784 heures de prix négatifs, dont 696 heures de production solaire significative, selon l’UNEF. Sur un total de 3 995 heures de production photovoltaïque significative par an, cela représente 17 % des heures durant lesquelles le photovoltaïque produit à des prix nuls ou négatifs, soit 20 % de l’énergie solaire produite. « Ce qui est important pour les producteurs, ce n’est pas tant l’écrêtement, car une partie est rémunérée, mais le prix capté pour l’énergie produite », explique Javier Revuelta. Or, l’année dernière, 22 % de l’énergie éolienne et 35 % de l’énergie photovoltaïque ont été vendues à un prix inférieur à 5 €/MWh, soit à un bénéfice quasiment nul, ce qui constitue un problème plus important que l’écrêtement ou que les prix négatifs. Pour 2025, la situation devrait d’ailleurs être similaire à celle de 2024. 

Beatriz Corredor, présidente de la REE, garantit la sécurité de l’approvisionnement électrique à court, moyen et long terme et l’adoption des mécanismes nécessaires pour assurer le fonctionnement du système. Parmi ces mécanismes, elle cite le renforcement des interconnexions internationales, la mise en œuvre de mécanismes de flexibilité, tels que les enchères de capacité déjà annoncées, les systèmes de stockage, les convertisseurs électroniques de puissance et d’autres technologies permettant de répondre aux besoins du système inertiel et d’assurer sa résilience grâce à la génération d’énergie renouvelable. « Il n’y a pas de risque de couverture de l’approvisionnement à l’horizon envisagé par notre stratégie nationale », assure-t-elle.

Malgré les propos rassurants de Beatriz Corredor, il n’est pas exclu que l’Espagne, à l’instar des Pays-Bas, voie la situation de ses réseaux se détériorer en termes de capacité dans les années à venir, en raison notamment des grands volumes d’énergie renouvelable actuellement développés et construits dans le pays. La France, bien qu’encore loin des pics de congestion observés dans les deux autres pays européens, ferait bien d’examiner dès maintenant les solutions à ces problèmes qui semblent inévitables. 

Cet article est tiré de l’édition spéciale de pv magazine France, à télécharger ici. L’article a été écrit en février, avant le black-out en Espagne le 28 avril.

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