La piste s’enfonce dans le sud tunisien, après Gabès, en direction de la frontière libyenne. Tout autour, sur le terrain rocailleux inondé de soleil et balayé par les vents, rien ne pousse, hormis quelques oliviers. C’est ici que Mabrouk a donné rendez-vous à Nizar Tounsi, directeur général de la société tunisienne NTC Power. « Nous avons interdiction de pomper l’eau en raison de la sécheresse, explique Mabrouk, en balayant le champ du regard. Il n’y a donc plus d’agriculture possible ». S’il a fait venir le développeur de parcs solaires jusque-là, c’est donc pour discuter avec lui d’une autre reconversion possible pour le site. Mabrouk aimerait faire construire une centrale photovoltaïque d’1 MW sur ses terres.
« C’est la tendance en ce moment », assure Nizar Tounsi, qui fait régulièrement des aller-retours pour rencontrer des clients. Propriétaires terriens, entrepreneurs, particuliers, ils sont de plus en plus nombreux à s’intéresser au solaire. Pas nécessairement pour des raisons écologiques, mais avant tout pour sa rentabilité.

Image : pv magazine
« Construire 1 MW coûte environ 800 000 euros, soit 2,4 millions de dinars tunisiens, chiffre Nizar Tounsi. Les porteurs de projets s’associent à plusieurs pour financer le projet. Ils apportent 30 % en fonds propres et les 70 % restants proviennent d’un prêt bancaire. Ils concluent ensuite un contrat de vente de l’électricité auprès de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG) qui gère le réseau ». À la clé, une rentabilité annuelle de 15 à 16 % sur vingt ans, bien supérieure à celle des produits financiers classiques.
Petites ou grandes centrales, le débat est ouvert
Si ces projets se multiplient, c’est grâce au régime dit de « l’autorisation », mis en place par l’État tunisien pour les centrales de 1 à 2 MW. Depuis le dernier cycle de dépôts, les prix d’achat sont fixés par le ministère. Pour le 5ème round, il était d’environ 217 millimes de dinar par kWh, soit près de 6,5 centimes d’euro, pour une centrale de 1 MW.
En parallèle, la Tunisie développe de grandes centrales solaires, souvent supérieures à 50 MW. Attribuées via des appels d’offres internationaux, elles sont remportées par de grands groupes étrangers capables de proposer des prix très bas.
Derrière ces deux modèles se joue un débat stratégique. Pour atteindre l’objectif officiel de 5 GW de capacités installées d’ici à 2030, faut-il privilégier quelques grandes centrales en concession ou soutenir une multitude de petits projets locaux, plus coûteux mais plus diffus ? Entre le ministère de l’Énergie, le Parlement et les acteurs du secteur, les avis divergent.
« Nous défendons la deuxième solution. Ce sont des projets nationaux, qui créent de l’emploi. Les grandes centrales, elles, sont souvent gérées par des entreprises étrangères et mobilisent peu de main-d’œuvre », tranche Khaled Nasraoui, partenaire associé NTC Power, qui travaille avec Nizar Tounsi. Celui-ci nous reçoit dans les locaux de son entreprise, située à Tunis, la capitale du pays. NTC Power a près de 20 MW en cours d’installation, presque exclusivement des centrales de 1 et 2 MW. L’entreprise développe aussi des projets hybrides en Afrique de l’Ouest, du Sénégal à la Côte d’Ivoire.
« Le pays dispose d’un fort potentiel pour produire un hydrogène renouvelable et compétitif », Mohamed Chorfi, avocat en droit des affaires et des énergies
Derrière l’essor des grands projets solaires se dessine aussi une autre ambition, celle de l’hydrogène vert. La Tunisie espère devenir, à terme, un hub de production destiné à l’exportation vers l’Europe.
« Le pays dispose d’un fort potentiel pour produire un hydrogène renouvelable et compétitif », souligne Mohamed Chorfi, avocat en droit des affaires et des énergies en Tunisie, spécialisé dans les sujets d’énergies renouvelables et d’hydrogène. Des projets encore largement au stade des intentions ont été annoncés, expliquant l’intérêt des autorités pour les centrales solaires de très grande taille.
L’autoconsommation progresse
En parallèle de ce marché des centrales solaires à grande échelle, un autre, plus petit certes, prend de l’ampleur : l’autoconsommation. Ce qui marque quand on sillonne les rues et avenues de Tunis ou des grandes villes est le nombre de villas de particuliers, de commerces et de petites entreprises qui possèdent plusieurs panneaux photovoltaïques sur leur toit, pour couvrir leurs consommations.
En Tunisie, environ 300 MW de solaire sont aujourd’hui raccordés en basse tension, et 60 MW en moyenne tension. Ce mouvement est porté notamment par les entreprises exportatrices, contraintes de réduire leur empreinte carbone pour continuer à vendre en Europe, sous peine de subir la taxe carbone aux frontières.

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Reste un obstacle majeur, celui du financement. Les banques tunisiennes, de taille modeste, pratiquent des taux d’intérêt élevés. Beaucoup de porteurs de projets se tournent vers des bailleurs étrangers, privés ou publics, comme la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ou l’Agence française de développement.
Amel Ben Farhat, PDG de la société de gestion de fonds SAGES Capital, créée en 2006, veut en finir avec cette dépendance aux financements étrangers. A la tête de l’entreprise depuis 2024, elle nous explique que son fonds est particulièrement actif dans les projets innovants, notamment l’aquaculture et l’agriculture.
De manière assez logique, portée par la stratégie de l’État développement des renouvelables en Tunisie, elle souhaite désormais élargir l’activité de sa société de gestion au photovoltaïque. « Nous voulons financer des projets de 1, 2, voire 10 MW sous le régime de l’autorisation », explique-t-elle. Une première phase pourrait concerner une dizaine de petites centrales, destinées à des porteurs de projets exclus du financement bancaire classique. Un outil de plus pour tenter d’ancrer, localement, la transition énergétique tunisienne.
Retrouvez les précédents articles de la série :
Le pays compte sur le développement du solaire pour sa sécurité énergétique
L’avancement des grands chantiers solaires se confirme
Vers un regain de confiance de la part des bailleurs internationaux ?
« Les besoins en photovoltaïque en Tunisie sont considérables »
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