Révision des tarifs d’achat : « plusieurs recours seront possibles », selon le cabinet BMH Avocats

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Sur quel fondement juridique se base la renégociation des contrats d’achat visée par l’amendement gouvernemental ?

Sébastien Canton : Depuis la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 « portant engagement national pour l’environnement », les contrats d’obligation d’achat d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables ont été requalifiés en « contrats administratifs ». Cela a ouvert la possibilité à la personne publique de modifier ou résilier unilatéralement et à tout moment un tel contrat, ce qui est manifestement le but poursuivi par le gouvernement au travers de son amendement au Projet de loi de finances pour 2021 applicable aux contrats d’achat d’électricité solaire. Plusieurs conditions doivent être cependant être respectées pour modifier un tel contrat. En particulier, cette modification unilatérale par la personne publique doit, pour préserver l’équilibre financier global du contrat, s’accompagner d’une indemnisation du cocontractant. Celle-ci concerne aussi bien les pertes subies que le gain manqué. Il y a là un paradoxe, car l’indemnisation des producteurs du fait du préjudice que leur causerait une baisse du tarif d’achat serait évidemment contraire à l’objectif d’économie affiché.

Si l’amendement venait à être voté, quels seraient alors les recours possibles pour les producteurs visés ?

Nous sommes encore au tout début du processus législatif. A ce stade, l’amendement peut encore être modifié ou remis en cause au Sénat. De plus, nous ne connaissons pas les détails de la réduction tarifaire qui, d’après le texte actuel de l’amendement, feraient l’objet d’un décret et d’un ou de plusieurs arrêtés. Cela étant, si la renégociation devenait effective, les producteurs auraient plusieurs recours possibles. Tout d’abord, ils pourraient commencer par contester devant le Conseil d’Etat la légalité du décret qui fixerait les modalités de détermination des nouveaux tarifs, en invoquant, par exemple, des moyens tenant au non-respect des libertés fondamentales, comme le droit de propriété, ou bien encore le principe de sécurité juridique.

De plus, l’amendement vise à mettre fin à une situation de « rémunération excessive des capitaux investis ». Mais qu’est-ce que, juridiquement, une rémunération « excessive » ou « raisonnable » des capitaux investis ? Cette formulation amène beaucoup de questions. Selon l’amendement, les producteurs pourront obtenir une dérogation au tarif d’achat « réduit » à condition de prouver que, malgré toutes les mesures de soutien financier internes qu’ils ont pu mettre en place avec leurs banquiers, leurs sociétés-mères, leurs actionnaires, ils ne sont pas en mesure d’assurer la « viabilité économique », notion également très floue. Notons aussi que ce critère de la « viabilité économique » concerne, d’après l’amendement, « les producteurs », et non les actifs de production en tant que tels, ce qui est contradictoire avec l’objectif affiché par le gouvernement d’une analyse « au cas par cas », et rend l’issue des demandes de dérogation plus incertaine.

En cas de rejet des demandes de dérogation des producteurs, il leur faudra probablement se tourner vers les tribunaux. Juridiquement, l’exigence de démontrer l’absence de viabilité économique opère un renversement de charge de la preuve, alors que l’indemnisation du cocontractant d’une personne publique en cas de modification d’un contrat administratif par la personne publique est, en principe, de droit.

Qui plus est, cette notion de « rémunération excessive » pose encore problème, car les actifs concernés ont le plus souvent été, entretemps, cédés, et souvent au « prix fort ». Ils n’appartiennent donc plus à leurs premiers propriétaires. Il paraît donc juridiquement contestable de sanctionner des personnes qui ne sont pas responsables d’opérations réalisées antérieurement et n’ont pas engrangé les bénéfices du développement des projets.

Enfin, le principe de sécurité juridique va vraisemblablement revenir dans le débat. La question de l’applicabilité immédiate des nouvelles conditions tarifaires, en l’absence de mesures transitoires dont l’exigence est posée par la jurisprudence administrative afin d’éviter des changements trop brutaux, va sans doute se poser. Dans tous les cas et d’une manière générale, la mécanique est très complexe, la réflexion sur les moyens juridiques ne fait que commencer.

Tout ceci suscite encore de nombreuses questions ?

Ce dispositif de renégociation rétroactive des contrats d’achats est, selon moi, un « objet juridique non identifié », quand bien même le principe selon lequel les conditions d’achat de l’électricité d’origine renouvelable ne doivent pas conduire à excéder une rémunération « raisonnable » des capitaux investis, est posé par la loi. Le cas de l’éolien offshore, évoqué comme précédent par le gouvernement, a eu lieu dans une configuration différente puisque les contrats d’achat n’étaient pas encore signés et que la renégociation après l’appel d’offres s’est faite en dehors de tout dispositif législatif ou règlementaire spécifique. La situation est donc inédite et de nombreuses incertitudes doivent être levées dans le cadre de la négociation avec les ministères concernés.

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