L’avenir prometteur du solaire décentralisé en région MENA

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Dans la région MENA (Middle East and North Africa), les consommateurs commerciaux et industriels (C&I) représentent une part importante de la demande énergétique. Dans ces marchés, le secteur résidentiel représente 41 % de la demande totale d’électricité, suivi des secteurs industriels et commerciaux à 21 % et 20 % respectivement, les 18 % restants étant constitués d’autres secteurs (e.g. agriculture, les transports), ainsi que des pertes de réseau. Afin de répondre à cette demande d’énergie, de plus en plus de consommateurs se tournent vers les systèmes solaires décentralisés, en toiture ou au sol, du fait de leurs nombreux avantages par rapport aux systèmes de production d’électricité centralisés (e.g. écologie, prix de l’électricité). L’utilisation de ces systèmes pourrait jouer un rôle clé dans l’atteinte des objectifs de développement durable et de décarbonisation des différents pays de la région, tout en garantissant à leurs populations un accès durable à l’énergie.

Fort de ce constat, la région dispose d’un grand réservoir de projets. En effet, le marché potentiel pour des projets C&I rien qu’en Jordanie, Arabie Saoudite et aux Emirats serait au minimum de 4 GWc.

Au cours de ces dernières années, Finergreen, au travers de ses différents mandats dans la région et le secteur C&I, a pu voir le marché se renforcer avec l’émergence de certains modèles économiques et de cadres règlementaires favorables. Malgré une année 2020 difficile, nous nous attendons à voir ce type de projets gagner en importance à court terme.

Modèles économiques et régulations

A l’heure actuelle, différents modèles économiques constituent l’offre solaire pour les clients C&I.

  • Le modèle EPC – Le client achète le système et gère son financement. Un contractant EPC certifié lui fournit une solution clé en main couvrant l’ingénierie, la construction et l’installation du système PV. Le client supporte l’ensemble des coûts du projets (CAPEX), paie le contractant EPC tout au long de la construction, en suivant un calendrier de paiements basé sur les étapes clés de la construction du projet, et fait des économies sur sa facture électrique dès le premier mois d’opération du système PV. Ce modèle est particulièrement prisé par les clients ayant un surplus de liquidités ou un budget alloué à la transition énergétique.
  • Le modèle Crédit-bail – une tierce partie finance, élabore et installe le système sur la propriété du client (toiture, ombrières…) en échange d’une redevance périodique prédéterminée et ce pour une certaine durée. Le crédit bailleur garde en général la propriété de l’installation jusqu’à la date de fin du contrat, date à laquelle la propriété de l’installation est transférée au client gratuitement.
  • Le modèle Build-Own-Operate-Transfer (BOOT) – Une partie tierce finance, élabore, installe et exploite la centrale se trouvant sur un immeuble détenu ou non par le client. Cette tierce partie vend par la suite de l’électricité au client via un Contrat d’Achat d’Electricité (CAE ou PPA en anglais), à un prix et pour une durée prédéfinie. La centrale est possédée par la partie tierce jusqu’à la fin du CAE, après quoi elle est transférée au client gratuitement ou à une valeur résiduelle.

Ces modèles économiques ont pu émerger grâce aux différents mécanismes mis en place dans les pays ayant un marché C&I actif. L’autoconsommation, par exemple, permet une consommation directe de l’électricité produite par le système PV installé, et ainsi une réduction de la facture énergétique. De son côté le comptage net (ou net metering en anglais) est un mécanisme de facturation permettant au client d’obtenir des crédits énergétiques pour l’électricité qu’il a injecté dans le réseau et de les déduire de sa facture d’électricité. Une alternative (net billing) permet au client d’injecter le surplus d’électricité produite dans le réseau en échange d’un tarif prédéfini (souvent plus bas que le prix de vente de l’électricité sur le réseau). Le plus souvent ces installations sont situées sur le site de consommation (toiture, ombrière ou au sol). Et enfin, le wheeling est un transport de courant électrique en utilisant le réseau de transmission et distribution national ou régional. Souvent, les sites offrant les meilleures conditions pour la production d’énergie photovoltaïque sont éloignés des endroits où la consommation électrique est la plus importante. En utilisant le wheeling, les clients peuvent, en échange de frais de transport, importer de l’électricité solaire produite par une centrale ne se trouvant pas sur le site de consommation.

Impact du Covid-19 et autres facteurs

De nombreuses entreprises ont été sévèrement touchées par la crise actuelle. Avec des revenus limités à cause du confinement et une réduction d’activité économique globale, la priorité est à la réduction des coûts. Les projets solaires offrent une opportunité unique de réduire de manière significative les factures énergétiques à un coût minimum (en utilisant un système de crédit-bail). Dans l’environnement actuel, où le manque de liquidité complique la mise en place de modèles EPC, les modèles basés sur les crédits-bails gagnent en popularité grâce à l’investissement minimal requis et aux économies annoncées.

Les coûts de projets ont également été particulièrement volatile cette année. Si d’un côté les progrès technologiques ont fait baisser le prix du solaire, de l’autre côté, avec le confinement, les capacités de production ont été limitées (malgré des carnets de commande chargés) et de nombreuses incertitudes demeurent par rapport au coût et aux conditions de livraison.

D’un point de vue calendrier, malgré l’attribution de certains projets et le bouclage de divers financements, de nombreux projets et programmes censés être attribués ou lancés en 2020 ont été décalés à 2021 dans le meilleur des cas. Par exemple, nous pouvons citer le 3ème round des appels d’offres REPDO en Arabie Saoudite, qui a été décalé deux fois, ou encore les appels d’offres organisés par l’OPWP en Oman pour les projets Manah 1 et 2 qui ont été décalés de quelques mois.

La demande énergétique des clients C&I a elle aussi grandement baissée suite au confinement et la réduction d’activité. Etant donné l’incertitude pesant sur les niveaux de demande électrique, de nombreux clients potentiels ont décidé de mettre leurs projets renouvelables sur pause pour l’instant. De plus, dans le cadre de mesures visant à supporter l’économie, certains pays ont fait baisser le coût de l’électricité réduisant l’intérêt économique des projets solaires à court terme. En outre, le confinement a ralenti le développement de nombreux projets. Les restrictions de déplacement ont rendu les rencontres avec les clients, visites de sites et négociations plus compliquées. De plus, certains organismes gouvernementaux et affiliés impliqués dans le développement de ces projets opéraient en service réduits, ce qui a conduit à de nombreux retards.

Enfin, la région MENA a aussi grandement souffert de la crise du pétrole, qui a augmenté les déficits des gouvernements et induits des taux de croissance négatifs. Par conséquent certains pays ont vu leurs notations révisées à la baisse (e.g. Oman). Cette crise et les changements politiques récents (décès de souverains, changement de gouvernements comme en Tunisie, Jordanie et au Liban) ont entrainé des modifications dans les plans et budgets nationaux et ont résulté en un retard par rapport aux plans de transition énergétique.

Qu’attendre de 2021 ?

2021 ne sera-t-elle qu’une année de substitution durant laquelle les projets abandonnés ou décalés de 2020 verront enfin le jour ? Même si la santé économique de la région s’est dégradée en 2020, nous nous attendons à ce que le marché décolle cette année et ce, grâce à un alignement d’intérêts en faveur du C&I : le financement, les régulations et la « bancabilité ».

Bien qu’étant un point critique et limitant du développement de projets solaires C&I jusqu’à présent, le financement de ces projets commence à se démocratiser par :

  • La montée en compétence et connaissance des banques régionales sur les sujets de financement de projets solaires ;
  • L’accroissement des tailles de portefeuilles de projets PV, les rendant plus attractifs pour les banques. Les succès récents d’une banque basée en Arabie Saoudite dans le financement du secteur C&I le démontrent et devraient ouvrir la voie à d’autres banques ;
  • Le développement de processus d’audit (due diligence) adaptés à ce type de projets, grâce à l’expérience accumulée par ces banques, réduisant coûts et délais ;
  • L’abondance de liquidités et le développement des financements verts depuis 2015*[1].

De plus, les régulations des différents pays se sont développées et renforcées, ouvrant la voie à un développement du secteur C&I plus rapide. Il reste cependant quelques zones d’ombres dans certaines juridictions (Oman, Maroc, Abu Dhabi, KSA) où des lois et cadres réglementaires existent mais où des mesures complémentaires sont encore attendues depuis quelques temps déjà.

Enfin, la « bancabilité » est essentielle, notamment en ce qui concerne la solvabilité des acheteurs compte tenu de la durée des contrats. Nous attendons une plus grande sélectivité sur le développement des projets. Par cela nous entendons un ralentissement de la course à l’obtention de projets (volume) et une plus grande attention portée à :

  • L’ensemble des garanties et sous-jacents qui seront adaptés, avec un focus sur les clients les plus solides financièrement ;
  • La durée des contrats devrait également être réévaluée afin que les promoteurs et les acheteurs trouvent un juste milieu entre risque et profitabilité ;
  • En raison de la défaillance potentielle des acheteurs, la phase de documentation devrait également être renforcée par l’ajout systématique, par défaut, de clauses couvrant les changements de législation, les pandémies et les événements imprévus.

Sauf dans le segment des gros projets, où la région MENA connaît une croissance constante en termes de projets attribués et de capacité installée dans le monde, le segment C&I a souvent été en retard par rapport à l’Asie du Sud-Est ou à l’Amérique Latine. Le marché a mis du temps pour murir et commencer à croitre, à cause, entre autres, de systèmes économiques basés sur le pétrole et limitant le rythme de développement de ces projets. À un moment où il est évident que l’utilisation du photovoltaïque solaire devrait être un des moteurs de la transition énergétique, la région MENA devrait être aussi rapide, innovante et ambitieuse qu’elle l’a été dans de nombreux autres domaines au cours de la dernière décennie.

[1] Rapport du CEBC sur le marché de la dette verte en MENA

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