Forfaitiser au kW le raccordement des producteurs : une mesure de simplification en faveur du PV

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La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vise un objectif de puissance photovoltaïque installée sur toitures de 8,5 GW en 2023 et de 14,5 à 19 GW en 2028 contre 4,6 GW en service fin 2020. Ceci impose de raccorder plus d’1 GW par an d’ici 2023, voire 1,8 GW/an pour atteindre l’objectif haut en 2028, contre un rythme actuel autour de 400 MW (347 MW en 2018, 430 MW en 2019), soit une multiplication par 3 à 4 du rythme d’installation au niveau national pour les seules installations en toitures.

Cette nette rupture par rapport à la tendance observée (multiplication par seulement 1,2 sur les 3 dernières années) nécessite des évolutions qui devraient se traduire par un choc de simplification des démarches.

Ceci est particulièrement vrai en matière de raccordement au réseau qui constitue aujourd’hui l’un des principaux goulots d’étranglement, notamment dans les territoires ruraux où les capacités d’accueil sont a priori plus limitées qu’en milieu urbain dense : alors que toutes les collectivités locales de plus de 20 000 habitants sont désormais dotées d’un « Plan climat-air-énergie territorial » comportant des objectifs plus ou moins ambitieux de développement du photovoltaïque de petite et moyenne puissance raccordé en basse tension (moins de 250 kVA), cet état de fait renforce l’inéquité ville/campagne.

Par ailleurs, le code de l’énergie (5° de l’article L. 322-8) confie explicitement aux gestionnaires des réseaux de distribution (GRD) la mission de « favoriser l’insertion des énergies renouvelables sur le réseau ». Alors que les bornes de recharge de véhicules électriques ouvertes au public dont l’État souhaite également accélérer le déploiement bénéficient jusqu’à fin 2025 d’une prise en charge à hauteur de 75 % de ces mêmes coûts lorsqu’elles se situent sur les voies rapides et les autoroutes pour des puissances allant jusqu’à 5 MW, il semblerait justifié et cohérent de trouver des voies d’amélioration d’une situation actuelle peu satisfaisante pour le raccordement des énergies renouvelables.

Plutôt qu’une augmentation de la réfaction qui serait coûteuse et potentiellement contre-productive en donnant un signal-prix inadapté, la présente note explore une solution qui apparaît comme l’une des plus efficaces et des moins coûteuses : la forfaitisation du raccordement au réseau des producteurs en basse tension.

Les constats

1 – Le raccordement des producteurs : une étape complexe et intervenant trop tardivement dans les projet

A l’heure actuelle, le raccordement au réseau des projets sur toitures, en très grande majorité raccordés en basse tension (400 V), constitue la dernière étape d’un long processus et les incertitudes qui l’entourent en font un véritable un goulot d’étranglement, entraînant de nombreux abandons et générant des coûts échoués importants pour les producteurs, mais pénalisant aussi les gestionnaires des réseaux de distribution (GRD) qui réalisent des études sans lendemain.

Pourtant, la demande de raccordement (qui est aussi celle de contrat d’achat dans le cadre du guichet unique Enedis – EDF OA) ne devrait être qu’une formalité marquant la finalisation d’un ensemble de démarches et d’études préalables et actant le passage en phase opérationnelle, et non un jalon décisionnel pour des projets dont la faisabilité a été validée sous tous les autres aspects (techniques, économiques, juridiques, etc.).

2 – Une prise en charge par le TURPE qui ne remplit pas son rôle

Les coûts de raccordement sont composés de coûts de « branchement » et de coûts « d’extension » :

  • Le branchement comprend les organes de connexion au réseau public ainsi que le cas échéant la pose de câbles en propriété privée. Les coûts afférents, sont forfaitisés pour les installations de production de puissance inférieure à 250 kVA dans la DTR PRO-RES_80E, qui s’applique dans la majorité des cas.
  • L’extension correspond aux travaux autres que le branchement. Elle est incluse dans le devis de raccordement lorsque les gestionnaires de réseaux l’estiment nécessaire pour lever une contrainte identifiée lors de l’étude préalable. Il s’agit le plus souvent de la dépose puis reconstruction d’une ligne électrique en une de plus forte section, d’une augmentation de la puissance ou de la création d’un poste de transformation, etc.

Assumés en totalité par les producteurs jusqu’en 2018, ces coûts sont pris en charge à hauteur de 40% par le TURPE, depuis que la réfaction a été rétablie après avoir été supprimée en 2011 dans la foulée du moratoire sur les tarifs d’achat.

Dans ce contexte, les coûts totaux de raccordement peuvent varier très fortement en fonction de la structure locale du réseau et de la puissance raccordée, allant du millier d’euros pour un branchement simple en l’absence de contrainte à plusieurs dizaines de milliers d’euros dans le cas d’une création de poste de transformation.

S’il a eu le mérite de supprimer une discrimination interdite par la règlementation européenne entre producteurs et consommateurs, le rétablissement de la réfaction a entraîné une baisse à peine perceptible pour les producteurs ne générant pas de contraintes (moins de 5 % du coût total d’un projet de 9 kWc par exemple) mais n’a pas permis à l’inverse aux projets faisant face des coûts d’extension élevés (supérieurs à 200 €/kW et allant jusqu’à plus de 1000 €/kW) d’obtenir des coûts de raccordement raisonnables.

En outre, les producteurs sont traités au cas par cas, selon le principe de la « file d’attente » : chacun se voit attribuer un coût de raccordement personnalisé en fonction des travaux devant être réalisés pour que l’injection de sa production sur le réseau ne génère pas de contrainte. Toutefois, l’étude de raccordement ne tient que partiellement compte de possibles autres travaux sur le réseau, réalisés après la demande de raccordement, mais pouvant être connus avant cette dernière (demandes de raccordement en consommation puis production non simultanées, enfouissement, sécurisation, renouvellements ou renforcements d’ouvrage, …).  Une fois le devis de raccordement émis par le gestionnaire de réseau, le demandeur n’a pas d’autre choix que de l’accepter tel quel ou de le refuser dans les 3 mois suivant sa réception, sans possibilité de négociation.

C’est pourquoi même une augmentation du taux de prise en charge, comme cela a été décidé (de manière en principe temporaire) à hauteur de 75% pour les bornes de recharge rapide, ne saurait à elle seule répondre aux problématiques constatées.

3 – Une situation difficilement tenable à l’avenir

Dans la perspective de la nécessaire accélération du développement du photovoltaïque, cette situation montre ses limites pour l’ensemble des protagonistes :

  • Pour les porteurs de projets dont les coûts échoués liés aux projets abandonnés, et plus largement des risques induits par l’incertitude sur les coûts de raccordement, viennent renchérir les coûts d’investissement
  • Pour les gestionnaires de réseau du fait de l’augmentation importante, dans le cadre d’une mission de service public, des coûts du personnel nécessaire au traitement des dossiers et à la réalisation des études pour faire face à un futur et souhaitable quadruplement du rythme d’installations (traitement des dossiers, études, etc.)
  • Pour les consommateurs/contribuables qui financent le réseau via le TURPE, du fait de l’impossibilité d’optimiser les travaux considérant l’approche au cas par cas et l’absence d’une planification coordonnée à l’échelle locale dans un contexte de développement accéléré.

Au total, même s’il semble difficile de chiffrer de manière précise les gains économiques directs et indirects d’un mécanisme optimisé tout en soupçonnant qu’ils pourraient être significatif, il apparaît indispensable de faire évoluer et surtout de fluidifier le dispositif actuel en vue de la massification annoncée du photovoltaïque en basse tension.

Une solution à explorer : la mutualisation des coûts de raccordement via un forfait à la puissance

1 – Le principe

L’idée de base de la mesure proposée consiste à établir, pour tous les producteurs en basse tension, ainsi que pour les producteurs HTA entre  250 et 500 kW, un forfait de raccordement à la puissance (en euros par kilowatt), qui pourrait le cas échéant être assorti de seuils intermédiaires correspondant à ceux du réseau (9-36 kW, 36-250 et 250-500 par exemple), dont le montant resterait à définir pour qu’il favorise à la fois  la réalisation effective des projets et la minimisation globale des coûts de raccordement.

Il est important de noter que le principe de la forfaitisation existe déjà dans le code de l’énergie pour ce qui concerne le raccordement au réseau public de distribution d’électricité :

  • l’article L342-8 en ouvre explicitement la possibilité dans les termes ci-dessous  aux GRD de plus de 100 000 clients sous forme de barèmes de raccordement pouvant concerner indifféremment les producteurs et les consommateurs et soumis à l’approbation de la CRE :

« Lorsque le gestionnaire du réseau public de distribution est le maître d’ouvrage des travaux, les principes généraux de calcul de la contribution qui lui est due sont arrêtés par l’autorité administrative sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie. Ils peuvent prendre la forme de barèmes. »

  • les articles L342-1 et 342-12 le mettent en œuvre de manière obligatoire spécifiquement pour les  énergies renouvelables de plus de 250 kVA raccordées en moyenne tension (HTA) à travers l’instauration d’une quote-part couvrant le coût de création des ouvrages mutualisés à l’échelle d’une région administrative dans le cadre des Schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3RENR) instaurés par l’article 321-7  ;

Il s’agirait donc non pas de déroger au droit commun, mais d’étendre le champ d’application d’un principe dont la validité juridique, le caractère opérationnel et l’efficacité économique dans le champ concerné sont clairement établis.

2 – Les indispensables garde-fous

Afin d’éviter toute dérive contre-productive et toute incitation implicite à développer des projets pour lesquels le raccordement nécessiterait des renforcements et aménagements très lourds du réseau, conduisant à augmenter de manière déraisonnable les coûts globaux de développement de la filière, et donc à porter le forfait à un niveau trop élevé pour la majorité des producteurs, il est nécessaire de prévoir des garde-fous.

À cet égard, le maintien souhaitable d’un signal-prix dissuadant les comportements opportunistes peut être assuré très simplement en considérant que les coûts de raccordement au-delà d’un seuil haut à définir (2 à 3 fois le montant du forfait par exemple), qui seraient identifiés lors des études prenant en compte la situation locale, à la charge du producteur. Ce dernier serait dans ce cas soumis au forfait jusqu’au seuil haut puis contribuerait aux frais additionnels. L’ensemble du coût de raccordement bénéficierait de la réfaction de 40% qui devrait être maintenue en application du principe de non-discrimination entre producteurs et consommateurs.

Ainsi, plutôt que de garder un signal-prix indifférencié qui s’avère trop souvent dissuasif et ralentit l’atteinte des objectifs de la PPE, il est proposé, à l’instar de ce qui se pratique déjà dans le cadre des S3REnR où les investissements les plus coûteux sont éliminés du calcul de la quote-part, d’identifier les configurations extrêmes pour lesquelles la mutualisation serait injustifiée et de mettre les producteurs qui souhaiteraient les exploiter devant leurs responsabilités.

Variante “démarches simplifiées”

Une variante du forfait de raccordement pourrait aller plus loin dans la simplification des démarches en déterminant l’éligibilité au forfait seul en amont des études de raccordement, et donc de la connaissance exacte du coût de raccordement. Cette approche discriminerait de manière moins précise les raccordements éligibles au forfait seul, de ceux devant financer forfait et frais additionnels. Elle présenterait toutefois l’avantage de raccourcir les délais administratifs de plusieurs mois pour les demandeurs, tout en leur accordant davantage de visibilité en phase amont de leur projet.

L’éligibilité ou non au forfait sans frais additionnels pourrait être déterminée à partir d’une évolution de l’outil cartographique d’Enedis appelé « Simulateur de raccordement BT ». Les producteurs y ont déjà accès en open data, mais, dans sa configuration actuelle, l’outil se limite à un classement sommaire selon un code « vert-jaune-rouge » ne permettant pas d’identifier la puissance maximale raccordable avec des coûts acceptables pour le projet.

A la place, le simulateur pourrait informer dès la demande de raccordement si le producteur peut bénéficier ou pas du forfait sans frais additionnels, et annoncer le cas échéant un coût de raccordement ferme. Pour ces projets, les étapes d’émission du devis de raccordement par le GRD et de son acceptation par le producteur pourraient ainsi être éliminées, raccourcissant les délais administratifs de plusieurs mois, tandis que les autres projets devraient quant à eux attendre la réalisation de l’étude de raccordement pour prendre connaissance du montant des éventuels frais additionnels.

À défaut d’intégration dans l’outil, l’inclusion dans le périmètre du forfait pourrait reposer sur un critère de distance du Point De Livraison (PDL) au poste de distribution publique le plus proche pour la basse tension, ou au réseau HTA pour les projets HTA. De tels critères sont déjà utilisés pour le barème de raccordement dans la DTR PRO-RES_80E, notamment dans le cas des installations inférieures à 18 kVA pour lesquelles le périmètre de facturation est plus large pour les PDL distants de plus de 250 mètres.

Exemple :

Dans le système actuel, la demande complète de raccordement donne lieu à l’émission d’un devis de raccordement dans les 3 mois. Le producteur a ensuite 3 mois pour l’accepter ou le refuser.

Dans le système proposé, suite au remplissage du formulaire de demande de raccordement, l’éligibilité ou non au forfait serait immédiatement indiquée au producteur. En cas d’éligibilité, le coût de raccordement serait directement affiché dans le formulaire, et la demande de raccordement vaudrait également acceptation du devis de raccordement.

La mise en œuvre juridique

La mise en œuvre de la mesure proposée passe nécessairement par la voie législative. Elle consiste à introduire dans l’article L342-1 du code de l’énergie la notion de barème forfaitaire pour la basse tension et à renvoyer la définition de ce dernier à la procédure existante sous l’égide de la CRE mentionnée à l’article L342-8 du même code dans les termes suivants (passage en rouge) :

« Le raccordement d’un utilisateur aux réseaux publics comprend la création d’ouvrages d’extension, d’ouvrages de branchement en basse tension et, le cas échéant, le renforcement des réseaux existants.
Par dérogation au premier alinéa du présent article, lorsque le raccordement est destiné à desservir une installation de production à partir de sources d’énergie renouvelable, il s’inscrit dans le schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables mentionné à l’article L. 321-7. Dans ce cas, le raccordement comprend les ouvrages propres à l’installation ainsi qu’une quote-part des ouvrages créés en application de ce schéma. Pour les installations raccordées en basse tension, et pour les installations raccordées en HTA allant jusqu’à 500 kW, le coût de raccordement se compose d’un forfait pour les ouvrages propres dont les principes d’élaboration sont définis par voie réglementaire.
Sont précisés par voie réglementaire les cas dans lesquels le raccordement des installations de production d’énergie renouvelable ne s’inscrit pas dans le schéma lorsque les modalités de financement du raccordement sont fixées dans le cadre de procédures particulières. […] »

Il restera ensuite à modifier le barème existant en supprimant la notion de « coûts unitaires d’extension » et en introduisant celle de « forfait pour la basse tension », le cas échéant assorti de seuils par catégories de puissance (par exemple : coûts de branchement uniquement jusqu’à 9 kVA, forfait A de 9 à 36 kVA, forfait B entre 36 et 250 kVA et forfait C entre 250 et 500 kW).

3. Les avantages

Cette solution s’inscrit dans une indéniable logique d’intérêt général et de bénéfices pour l’ensemble de la collectivité nationale :

  • en instaurant  une péréquation des coûts de raccordement entre producteurs en milieu urbain ayant accès à un réseau robuste conçu pour de fortes consommations et producteurs en milieu rural se raccordant à un réseau qui va nécessiter à terme des renforcements substantiels, elle permet une plus grande équité entre territoires ;
  • en dépassant un fonctionnement au coup par coup imposé par la logique actuelle de la « file d’attente » et en incitant à tenir compte de la dynamique de développement de la production dans le renouvellement et le renforcement du réseau à l’échelle de chaque territoire, elle offre aux GRD une plus grande souplesse dans le traitement des dossiers et dans l’optimisation des investissements tout en leur facilitant la tâche pour la réalisation du Plan de développement du réseau visé à l’article L.322-11 du Code de l’énergie qui leur enjoint de mettre l’accent […] en particulier sur les infrastructures de distribution nécessaires pour raccorder les nouvelles capacités de production […].
  • en économisant chaque année de l’ordre de 100 à 150 millions d’Euros de frais d’études individualisées de raccordement en basse tension effectuées par les GRD, elle permet à ces derniers d’investir entre 1 et 1,5 milliard d’Euros sur la période 2023-2033 dans une analyse approfondie des capacités d’accueil du réseau et des leviers pour l’augmenter,
  • en réduisant drastiquement le risque d’échec des projets et les coûts échoués qui en découlent, elle permet de diminuer sensiblement les coûts moyens de développement des projets et ainsi d’augmenter d’autant  les volumes déployés à coûts constants.

Elle apporte également des avantages à chacune des parties prenantes :

  • aux producteurs, en limitant les risques d’échec grâce à une meilleure visibilité sur les coûts et en leur permettant ainsi d’augmenter le volume de leurs projets et en réduisant les délais  entre le lancement d’un projet et sa mise en service effective
  • aux gestionnaires de réseau de distribution en accélérant et en simplifiant le traitement des dossiers et en limitant le risque de coûts échoués dus à des études de raccordements sans suite
  • aux consommateurs/contribuables en garantissant la maîtrise du TURPE via une optimisation des investissements dans les réseaux basse tension et de la Contribution au Service Public de l’Énergie (CSPE) via une plus grande sélectivité des projets photovoltaïques en toitures
  • à la collectivité dans son ensemble en favorisant un développement harmonieux et efficace des projets permettant d’atteindre les objectifs fixés dans la PPE.

Tribune reproduite avec l’aimable autorisation de l’association Hespul.

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