La corrosion des réacteurs nucléaires français (re)pose la question de la politique énergétique à mener en France

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Mardi 17 mai dernier, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a auditionné des représentants de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN) pour faire le point sur la situation actuelle du parc français, où 28 des 56 réacteurs sont actuellement à l’arrêt.

12 réacteurs sur 56 à l’arrêt pour une durée indéterminée

Le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, nommé en 2018 pour six ans par Emmanuel Macron, a été interrogé en particulier sur l’ampleur du phénomène de corrosion constaté sur des tuyauteries annexes de circuits primaires de certains réacteurs depuis 2021. Il a confirmé que 12 réacteurs ont été mis à l’arrêt ou en prolongation d’arrêt pour cette raison, de manière à permettre à EDF de mener des expertises approfondies et, le cas échéant, des réparations. Le commissionnaire a rappelé que les 16 autres réacteurs à l’arrêt le sont pour des raisons de maintenance régulière, de rechargement ou de visites décennales généralement programmées au printemps.

Si le risque nucléaire devrait être écarté selon lui, il a toutefois précisé que le problème était « sérieux » : « d’abord parce qu’il concerne des parties de tuyauterie directement connectées au circuit primaire principal, et des tronçons pas isolables. Il n’y a donc pas d’organe de coupure, en cas de rupture de ces canalisations, c’est le circuit primaire principal qui est avec une brèche. C’est donc sérieux en termes de sûreté, mais aussi sérieux parce que le problème peut concerner l’ensemble du parc nucléaire d’EDF. » Il est également « totalement inattendu », notamment en raison de la qualité de l’acier utilisé qui devait permettre d’éviter ce type de corrosion.

Concrètement, la production nucléaire devra se passer jusqu’à nouvel ordre de quatre réacteurs N4 de 1450 MW (les plus récents), de cinq réacteurs du palier 1300 MW et de trois des réacteurs de 900 MW. « Pour le moment, sur les 32 réacteurs de 900 MW, peu ou pas de fissurations ont été détectées, mais ça reste bien évidemment à confirmer », a expliqué Bernard Doroszczuk aux parlementaires. Du côté du palier 1300 MW, si seulement cinq des 20 réacteurs sont à l’arrêt, le président de l’OPECST a confirmé que des investigations seront à mener partout. Les quatre réacteurs N4 sont les plus affectés avec des fissurations importantes et sont tous à l’arrêt.

Sites nucléaires français, octobre 2021.

Image : ASN

De son côté, EDF a affirmé dans un communiqué daté du 19 mai dernier qu’à ce stade, pour 2022, « il n’est pas nécessaire d’anticiper de nouveaux arrêts de réacteurs ».

Le groupe en a profité pour annoncer la mise en place d’un programme de contrôles pour l’ensemble du parc nucléaire qui inclut la maintenance décennale de réacteurs du palier 900 MW en 2022 et notamment pour Tricastin 3, Gravelines 3, Dampierre 2, Blayais 1 et Saint Laurent B2. « Le programme de contrôles des réacteurs du palier 1300 MW sera établi après l’intégration des enseignements tirés des expertises et contrôles en cours sur les circuits auxiliaires du réacteur de Penly 1. »

A ce jour EDF estime pouvoir réceptionner les premières pièces de rechange d’ici l’été, sans donner de date relative à une remise en service des réacteurs concernés. Cela dépendra de l’ampleur du phénomène de corrosion qui sera établie par les expertises approfondies en cours, du délai d’approvisionnement et de la disponibilité de main d’oeuvre qualifiée pour réaliser l’intervention. « Des dizaines de soudeurs ont bénéficié de formations et d’entraînements spécifiques afin de garantir une haute qualité de réalisation », a précisé le groupe français.

Intégrer les nouvelles données dans les politiques énergétiques pour éviter “d’engager le système électrique dans une impasse “

A la suite de ces événements, EDF a ajusté son estimation de production nucléaire pour 2022 de 295-315 TWh initialement, à 280-300 TWh désormais.

Bernard Doroszczuk explique que le parc nucléaire a présenté une « moindre disponibilité » des réacteurs à l’hiver 2021-2022 et que, même si cela était prévisible, notamment en raison de la non-mise en service de Flamanville, de l’arrêt de la centrale de Fessenheim et de l’impact du grand carénage, la fermeture récente de 12 réacteurs supplémentaires pose de réelle question de calibrage. D’après lui, « trois préoccupations principales sont à intégrer à moyen terme en terme d’anticipation et de marge pour la sureté, dans les choix de politique énergétique » :

  • prouver que les réacteurs les plus anciens auront bien la capacité de poursuivre leur fonctionnement au delà-de 50 ans, sachant que pour certains réacteurs et à ce stade, les éléments disponibles ne permettent pas de conclure en ce sens.
  • « si la poursuite d’exploitation de certains réacteurs au-delà de 60 était une option envisagée dans la prochaine PPE,  elle devrait impliquer une instruction par anticipation d’au moins 10 à 15 ans d’une telle hypothèse, c’est à dire d’ici 2030 pour disposer d’un délai suffisant, permettant de faire face à ces conclusions », affirme Bernard Doroszczuk en rappelant que l’un des scénario RTE présente un mix électrique avec une part d’électricité nucléaire proche de 50% en 2050 et repose sur des hypothèses de fonctionnement non justifiées à ce stade – à savoir l’exploitation de réacteurs jusqu’à 60 ans.
  • Enfin et pour conclure, le commissionnaire averti les parlementaires que « pour l’ASN il ne faudrait pas que faute d’anticipation suffisante, la poursuite du fonctionnement de réacteur nucléaire soit considérée comme la variable d’ajustement d’une politique énergétique qui aurait été mal calibrée »

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