Le poids de la demande saisonnière dans un scénario 100 % électrique

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D’après pv magazine Etats-Unis.

La plupart des modèles de décarbonation des bâtiments ne tiennent pas compte des fluctuations saisonnières de la demande énergétique pour le chauffage ou le refroidissement. En conséquence, il est difficile de prévoir ce qu’un chauffage 100 % électrique aurait comme conséquences au niveau du réseau électrique, et notamment pendant les pointes de consommation.

Une récente étude menée par des chercheurs de la Boston University School of Public Health (BUSPH), de la Harvard T.H. Chan School of Public Health, de l’Oregon State University et de la Home Energy Efficiency Team (HEET), une organisation à but non lucratif, a examiné les changements saisonniers dans la demande énergétique. Elle a observé que la consommation énergétique mensuelle varie de manière importante et atteint son maximum pendant les mois d’hiver.

L’étude intitulée « Inefficient Building Electrification Will Require Massive Buildout of Renewable Energy and Seasonal Energy Storage », publiée dans Scientific Reports, a présenté une nouvelle modélisation comportant plusieurs scenarios d’électrification de bâtiments. Elle a conclu que les sources actuelles d’énergies renouvelables auront des difficultés à répondre à la pointe de la demande énergétique hivernale si les bâtiments passent à un chauffage électrique à faible rendement. Ses conclusions insistent sur la nécessité d’installer des technologies de chauffage plus efficaces, telles que des pompes à chaleur géothermiques.

« Nos travaux mettent au jour le degré de fluctuation de la demande énergétique dans les bâtiments ainsi que les bénéfices que présente le recours à des technologies de chauffage à très haute efficacité lors de l’électrification des bâtiments », a expliqué Jonathan Buonocore, professeur adjoint en santé environnementale à la BUSPH et auteur principal de l’étude.

« Historiquement, cette fluctuation dans la demande énergétique a été, dans une large mesure, gérée grâce au gaz, au fioul et au bois, qui peuvent être stockés toute l’année et utilisés l’hiver venu. Les bâtiments passés à l’électricité, ainsi que le système électrique qui les alimente, devront être en mesure de fournir le même service, à savoir un chauffage fiable tout l’hiver. Des technologies électriques plus efficaces permettront de réduire la charge électrique qui pèsera sur le réseau et d’améliorer la capacité de répondre à cette demande en chauffage grâce à des sources renouvelables sans combustion. »

Après avoir analysé les données énergétiques des bâtiments sur la période de mars 2010 à février 2020, l’étude a conclu que la consommation énergétique mensuelle moyenne aux États-Unis, basée sur l’utilisation actuelle des combustibles fossiles ainsi que sur le recours futur à l’électricité en hiver, varie dans un rapport de 1 à 1,6, la demande étant à son plus bas niveau en mai et atteignant un pic en janvier.

Les chercheurs ont modélisé ces variations saisonnières dans une courbe appelée « Falcon Curve », laquelle illustre les fluctuations de la consommation énergétique mensuelle et dont la forme rappelle celle d’un faucon. D’après les données, la demande de chauffage en hiver fait grimper la demande énergétique à ses plus hauts niveaux en décembre et en janvier, avec un pic secondaire en juillet et août pour le refroidissement et des niveaux au plus bas en avril, mai, septembre et octobre.

Demande mensuelle totale en électricité actuelle, par secteur entre mars 2010 et février 2020, et projections des changements pour la demande totale en énergie des bâtiments suivant différents scénarios d’électrification fondés sur des technologies présentant des COP variables.

Image : Boston University School of Public Health, scientific reports, Creative Commons License CC BY 4.0

Les chercheurs ont ensuite calculé la quantité d’énergies renouvelables supplémentaires, notamment de solaire et d’éolien, qu’il faudrait générer pour satisfaire cette hausse de la demande en électricité. Pour couvrir les pointes en hiver sans stockage, sans effacement ou autres stratégies pour gérer la charge qui pèse sur les réseaux, il faudrait d’après eux multiplier par 28 la production d’éolien, ou par 303 la production de solaire au mois de janvier. Ils ont ensuite ajouté des énergies renouvelables plus efficaces, notamment des pompes à chaleur aérothermiques ou géothermiques, et calculé qu’il suffirait alors de multiplier la génération d’éolien par 4,5 et le solaire par 36 en hiver, ce qui permettrait de réduire la demande en énergie supplémentaire pesant sur le réseau, et donc d’« aplanir » la courbe du faucon.

« Ces travaux montrent clairement le rôle que les technologies ont à jouer dans la décarbonation, tant du côté de la demande que de l’offre », affirme Parichehr Salimifard, coautrice de l’étude et professeure adjointe au College of engineering de l’Oregon State University.

Parmi les exemples de technologies du côté de l’offre énergétique, elle cite le chauffage par géothermie ainsi que des technologies pouvant fournir de l’énergie à toute heure, notamment les renouvelables combinés à un stockage à long terme, les sources d’énergie décentralisées de toute taille ainsi que la production d’électricité par géothermie lorsque c’est possible.

« Celles-ci peuvent être associées à des technologies du côté de la demande (c’est-à-dire au niveau des bâtiments), par exemple des mesures d’efficacité énergétique passive et active, l’écrêtement des pointes et le stockage de l’énergie dans les bâtiments. Agir au niveau des bâtiments peut permettre de réduire leur consommation énergétique totale, en baissant à la fois la demande de référence et la demande maximale, mais aussi d’atténuer les fluctuations de la consommation, et donc d’aplanir la courbe du faucon », explique Parichehr Salimifard.

Zeyneb Magavi, coautrice de l’étude et co-directrice générale de la HEET, un incubateur de solutions en faveur du climat à but non lucratif, poursuit : « La courbe du faucon attire notre attention sur la relation clé qui existe entre le choix de la technologie d’électrification du bâtiment et l’impact de cette électrification sur notre réseau électrique. »

Zeyneb Magavi précise que ces recherches ne quantifient pas encore cette relation, fondée sur les courbes d’efficacité saisonnière mesurées, pour certaines technologies spécifiques ni pour des échelles de temps ou des régions présentant une granularité plus importante. Par ailleurs, elles n’évaluent pas non plus les nombreuses stratégies et technologies pouvant contribuer à répondre au défi de la décarbonation, et qui doivent toutes être prises en compte dans sa planification.

Néanmoins, d’après Zeyneb Magavi, cette étude indique que « le recours à une combinaison stratégique de technologies de pompes à chaleur (aérothermiques, géothermiques et connectées à un réseau) et de stockage sur le long terme contribuera à électrifier les bâtiments de manière plus efficace, plus économique et plus équitable. La courbe du faucon nous indique une voie plus rapide vers un avenir énergétique plus propre et plus sain. »

« Nos recherches mettent en évidence le fait que, lorsque l’on tient compte des fluctuations saisonnières en termes de consommation énergétique telles qu’elles apparaissent sur la courbe du faucon, les mesures prises pour passer nos bâtiments à l’électricité doivent s’accompagner d’un engagement à utiliser des technologies efficaces afin de garantir que les efforts déployés pour décarboner les bâtiments maximisent les bénéfices au niveau du climat et de la santé », déclare Joseph G. Allen, auteur principal de l’étude et professeur adjoint en sciences de l’évaluation aux expositions et directeur du programme Healthy Buildings à

L’un des changements les plus radicaux, même dans le cas d’une électrification hautement efficace, réside dans le passage probable de pointes en été à des pointes en hiver sur le réseau électrique des États-Unis. D’après les chercheurs, pour que l’électrification des bâtiments constitue « une décarbonation saine de l’énergie utilisée par les bâtiments, la demande supplémentaire en électricité devra être couverte par des énergies renouvelables non combustibles, ce qui, selon notre scénario le plus optimiste, nécessitera l’augmentation par 4,5 de l’énergie solaire ».

À l’heure actuelle, les variations saisonnières sont essentiellement couvertes par un système fonctionnant aux énergies fossiles avec un stockage à long terme. Dans un scénario 100 % électrique, le stockage de l’électricité sur le long terme pourra jouer un rôle important pour aider les renouvelables à répondre à la demande des bâtiments récemment passés à l’électricité.

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