La Nouvelle Calédonie, archipel en pleine incertitude

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« La situation est encore extrêmement tendue, le bilan humain et économique est très lourd », témoigne un développeur solaire implanté en Nouvelle Calédonie, territoire d’outre-Mer français situé à 16 000 km de Paris. Sur cet archipel de 18 564 km2, composé d’une dizaine d’îles et d’îlots, les stigmates des violences de ces derniers mois sont encore visibles dans les rues, comme dans les esprits. En mai dernier, après 36 ans de calme précaire, ce qui a remis le feu aux poudres est le projet du gouvernement français de modifier le code électoral, ce qui aurait eu pour effet d’affaiblir le poids démographique des Kanaks, le peuple autochtone, dans les élections locales.

C’est aussi l’interpellation de sept militants indépendantistes accusés d’avoir fomenté des émeutes et leur transfert jusqu’en France métropolitaine pour y être incarcérés en détention provisoire qui a entraîné un nouveau cycle de violences. Résultat, les affrontements ont fait à ce jour dix morts, parmi les manifestants et les forces de l’ordre. Dénonçant une « justice coloniale » et les fortes inégalités entre les Kanaks et le reste de la population, à commencer par les Européens, des émeutiers ont incendié les bâtiments publics et des lieux de culte. D’après le procureur de la République de Nouméa, la capitale, 400 entreprises et commerces ont aussi été détruits ou endommagés.

De fait, comme toute l’économie, le secteur du développement photovoltaïque est affecté directement. « Nous avions dans notre pipeline une trentaine de projets de toitures solaires industrielles en autoconsommation, en moyenne autour de 50 kWc chacun, relate Boualem Benkoussa, directeur général d’Ambi Energy, société EPC calédonienne fondée en 2007, qui a construit plus de 60 MWc de centrales solaires au sol, 2 MW en C&I et 50 MWh de systèmes de stockage d’énergie par batterie (BESS). Aujourd’hui, les bâtiments sont détruits et nous ne savons pas si et quand ils seront reconstruits. C’est un énorme manque à gagner pour notre entreprise ».

Pour ce qui est du solaire au sol, en dépit des barrages routiers et des difficultés d’accès, Ambi est parvenu à poursuivre la construction d’une centrale de Tiabet de 4 MWc pour la société d’économie mixte néo-calédonienne Enercal Energies Nouvelles sur la commune de Poum, dans l’extrême nord de l’île principale, Grande Terre. « D’autres projets de centrales photovoltaïques, moins avancés, sont actuellement en stand-by, poursuit le responsable. Nous espérons que les choses reviendront vite à la normale. »

La crise du nickel comme facteur aggravant

Avec 18 tonnes de CO2 émises par an et par habitant, le bilan carbone de la Nouvelle Calédonie est l’un des plus élevés au monde et l’archipel s’est lancé depuis plusieurs années dans un ambitieux programme de décarbonation via le photovoltaïque, en se focalisant sur l’industrie minière. En effet, les trois quarts de ses émissions de carbone sont directement imputables à l’industrie extractive de nickel, qui s’alimente majoritairement au charbon et au fioul lourd importé d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

Mais bien qu’elle détienne 10 % des réserves mondiales de nickel, la Nouvelle-Calédonie n’est pas parvenue à lutter contre la concurrence du nickel à bas prix, notamment en provenance d’Indonésie. Depuis plusieurs années, les trois entreprises installées dans l’archipel sont en plein marasme et produisent à perte. En février 2024, l’entreprise anglo-suisse Glencore, qui possède 49 % de la société KNS (Koniambo Nickel SAS), exploitante d’une usine de transformation du nickel situé dans le nord de la grande île de Grande Terre a ainsi annoncé l’arrêt de la production du site pour six mois et la recherche d’un repreneur. Dans le cas contraire, les 1 750 salariés pourraient être licenciés.

Le groupe minier français Eramet, qui exploite la Société Le Nickel (SNL), une usine pyrométallurgique dans le sud, a vu sa production chuter, en particulier à cause des difficultés d’approvisionnement en minerai, mais espère encore pouvoir sauver le site. Enfin, l’usine de nickel Prony Ressources accumule les pertes, qui ont atteint 108 millions d’euros pour la seule année 2023, mais elle va bénéficier d’un prêt de 140 millions d’euros de la part de l’Etat français.

« Le secteur du nickel emploie directement et indirectement 25 000 personnes, soit le quart des emplois de l’archipel, note un développeur en énergie renouvelable. De plus, les trois usines représentent à elles seules 75 % de la consommation électrique de la Nouvelle Calédonie. Une ou plusieurs fermetures entraînera donc automatiquement une modification du périmètre de développement des renouvelables et du photovoltaïque ».

En 2022, le gouvernement calédonien avait en effet acté dans la mise à jour de son « Schéma pour la transition énergétique de Nouvelle-Calédonie » (STENC) que le taux de pénétration des énergies renouvelables devait atteindre un minimum de 50 % dans le mix énergétique de la métallurgie. En vertu de son statut indépendant par rapport à la métropole, la Nouvelle Calédonie décide de ses propres objectifs de développements des énergies renouvelables et de son calendrier d’appels d’offres.

Ne pas abandonner le solaire

Avant la survenue de la crise, 430 MWc d’installations photovoltaïques et éoliennes répartis sur plus de 25 sites ont été attribués pour des mises en service prévues entre 2023 et 2025 et un montant d’investissement total de 400 millions d’euros. Selon l’Agence Calédonienne de l’Énergie, sur ce total, 310 MWc soit plus de 70% disposent déjà d’un permis de construction. Sur la période 2026-2032, l’objectif du gouvernement calédonien était d’attribuer 1 000 MWc de solaire supplémentaire sur une période de 10 ans, soit 100 MWc par an. Mais à l’époque de la mise à jour du STENC, la consommation électrique annuelle de l’archipel était de près de 3 TWh, soit la plus importante de toutes les Outre-Mer français. Aujourd’hui, l’incertitude autour des usines de nickel complique le closing financier des projets de centrales solaires.

Pour TotalEnergies, qui exploite 75 MW de capacités solaires dans l’archipel, sur les 180 MW au total, pas question pour autant d’abandonner le développement des renouvelables. « C’est un signal fort en ce moment : en dépit de la crise, les filières du renouvelables se projettent dans la reprise d’activité, assure Stefan Sontheimer, directeur de l’agence Pacifique de TotalEnergies. C’est aussi important en termes d’activité économique, car la construction d’une centrale photovoltaïque représente l’embauche d’une centaine de personnes sur des bassins d’emploi qui en ont besoin ».

Pour accompagner la décarbonation de la métallurgie, le groupe français a été désigné pour développer une centrale de 60 MWc raccordées au réseau de 150 000 volts sur la commune de Boulouparis à une cinquantaine de kilomètres de Nouméa. « C’est une zone que nous connaissons bien car nous exploitons déjà une centrale solaire de 30 MWc avec un stockage de 10 MWh. Toute la côte ouest de la Grande Terre est protégée des nuages et est très ensoleillée ce qui la rend propice au photovoltaïque ».

Face aux inconnues de l’industrie du nickel, l’une des pistes explorées par TotalEnergies serait toutefois de partitionner ses décisions de financement. « La centrale de 60 MWc est reliée à deux postes sources et pourrait aisément être scindée en deux parties de 30 MWc qui feraient l’objet de deux closing financiers distincts et étalés dans le temps pour réduire les risques ». Pour les plus petits objets, comme une centrale de 3 MWc située à Koné, au centre de la côte ouest, sur foncier coutumier (appartenant à des tribus kanaks et qui ne peuvent être cédés), TotalEnergies espère pouvoir respecter les délais qu’elle s’était fixés.

« Le solaire reste l’énergie la plus rapide à mettre en œuvre et la moins chère », rappelle de son côté Enercal, qui indique sur son site que le coût de production de l’électricité photovoltaïque pour les nouvelles centrales au sol se situe aujourd’hui autour de 5 à 7 CFP/kWh (0,042 à 0,059 euros), contre 15 CFP/kWh (0,13 euros) pour le pétrole et le charbon. Pour les petites centrales en toiture, le prix se situe autour de 18 CFP/kWh (0,15 euro). De fait, l’énergéticien espère pouvoir poursuivre le développement du solaire. L’un de ses projets phares est la conversion de sa centrale thermique au fioul de Népoui, sur la commune de Poya en Province Nord, par du PV avec stockage. Le coût du projet est évalué à 16 millions d’euros. Dans les plans initiaux, le site se composerait d’une centrale PV de 30 MWc, appuyée par 38 MWh de stockage par batterie.

En effet, la Nouvelle Calédonie étant une zone non interconnectée (ZNI), le stockage est la clé de voûte qui permettra de mettre en œuvre la transition énergétique calédonienne afin de compenser l’intermittence de la production solaire et éolienne qui impacte la fréquence du réseau. Outre le BESS de 38 MWh, le gouvernement a ainsi autorisé une autre centrale de stockage de 50 MWh et une troisième de 200 MWh, située dans la commune de Boulouparis. A l’issue d’un appel d’offres, c’est la société Akuo Energy qui possède déjà trois centrales agrivoltaïque (12,7 MWc au total), dont une avec stockage, qui a été choisie pour son exploitation. Toutefois, compte-tenu de la situation, la société n’a pas souhaité donner davantage de détails. On sait simplement que cette centrale reposera sur des batteries lithium-ion et qu’elle délivrera au réseau chaque jour 50 MW d’électricité pendant trois heures tout au long de sa durée de vie (12 ans).

Enfin, le PV est également l’un des axes forts de la décarbonation des trois petites îles principales de la Nouvelle Calédonie, dont Maré et l’Île des pins. Sur la première, d’environ 6 000 habitants, l’objectif serait de mettre en service deux centrales solaires de 1,4 MWc chacune, appuyées par une batterie de stockage d’énergie d’une puissance de 800 kW et 3,7 MWh à Tadine, ainsi que d’un système de gestion automatisé de gestion de l’énergie solaire. Sur la seconde, peuplée d’environ 2 000 habitants, l’alimentation électrique de l’Ile des Pins mise aussi le renouvelable avec la mise en service d’une batterie de stockage d’énergie de 960 kW pour 3,6 MWh d’énergie à Comagna, et d’une seconde centrale solaire d’une puissance de 1,5 MWc.

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