[Entretien] Quelle perspective pour le solaire dans la crise énergétique ?

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pv magazine : Dans quelle mesure la hausse du prix du gaz affecte le prix de l’électricité ? La défaillance des centrales nucléaires en France participe-t-elle à l’inflation constatée ?

Edouard Lotz et Nicolas Leclerc : La hausse du prix du gaz affecte directement le prix de l’électricité puisque les sources de production d’électricité produisent par ordre de coûts marginaux. Concrètement, les centrales les moins chères (celles qui ont le coût marginal de production le plus bas, typiquement les énergies renouvelables) produisent en premier, les moins chères ensuite (souvent le nucléaire), et ainsi de suite jusqu’à la plus onéreuse, qui fixera le prix du marché. Les centrales à gaz étant actuellement les centrales marginales (c’est-à-dire les plus chères), elles font mécaniquement monter les prix lorsqu’elles produisent. Et ce phénomène est aggravé par l’envolée actuelle des prix du gaz.

La défaillance des centrales nucléaires alimente aussi cette hausse car elles constituent le bandeau principal de la production électrique française : si ce coussin devient moins confortable du fait de l’indisponibilité d’une partie du parc, il va falloir compenser ces pertes de production par d’autres centrales, dont celles à charbon et à gaz évidemment.

Pour résumé, moins de disponibilité nucléaire implique plus de recours aux centrales à gaz et le gaz étant élevé, les coûts augmentent et ainsi de suite. Cette inflation s’auto-alimente en fonction des actualités dans le nucléaire et dans le secteur du gaz.

A quel stade en sont les centrales nucléaires françaises ?

Le parc nucléaire français affiche, à date, une disponibilité d’environ 40 % – contre 70 à 80 % en général, sachant que ce taux est en baisse depuis 2016. Les centrales nucléaires françaises n’ont quasiment jamais été aussi peu disponibles qu’en 2022 avec 29 réacteurs sur 56 à l’arrêt cet été.

C’est d’ailleurs pour cette raison que les prix de l’électricité en France sont plus élevés que dans les autres pays de la zone euro : le nucléaire étant la première source d’électricité du pays, si sa production baisse, le prix du mégawatheure monte puisqu’on fera appel à d’autres sources plus chères, comme expliqué plus haut.

Quand peut-on attendre un retour de la production normale des centrales nucléaires ?

Les centrales nucléaires seront évidemment plus disponibles cet hiver que cet été mais tout de même en dessous du niveau de la disponibilité habituelle. EDF a d’ailleurs récemment annoncé que cinq réacteurs actuellement en maintenance redémarreront plus tard que prévu, avec une extension annoncée de 176 jours. Certaines centrales ne reviendront produire sur le réseau qu’en novembre 2022 (Cattenom 1), décembre 2022 (Cattenom 3) et en janvier 2023 (Penly 1). EDF mise sur une disponibilité de 80 à 90 % pour les mois de cet hiver, mais ce taux rechutera après février. Il est difficile d’évaluer la production moyenne à venir, mais le niveau normal du nucléaire devrait revenir à la normal à horizon 2024-2025.

Si les centrales nucléaires ne sont pas de retour en hiver, d’où viendra l’électricité manquante ? 

En France, l’électricité proviendra pour partie des centrales nucléaires puisqu’elles ne sont évidemment pas toutes à l’arrêt. Elles seront complétées par de l’hydraulique, du renouvelable selon la production, du gaz et du charbon. Il faudra également compter sur les importations d’électricité en provenance des pays voisins de la France. Cette situation est habituelle puisque la France, qui exporte généralement de l’électricité en été, en importe en hiver. Toutefois, cette année, les autres pays européens font également face à des situations hors norme pour produire de l’électricité. Il y a donc un véritable risque que les échanges d’électricité soient plus limités ce qui pourrait entraîner des déséquilibrages du réseau français.

Cette attente se reflète-t-elle dans les prix à terme pour 2023 et 2024 ?

Cette situation se reflète complètement dans les prix à terme pour 2023, puisqu’ils ont dépassé les 1100 €/vendredi 26 août. Pour 2024, le prix dépasse également largement les 500 €/MWh. Des prix élevés sur des échéances lointaines est un autre signal qui laisse à penser que la situation ne s’apaisera pas cette année en l’état actuel des choses.

Combien de temps cette situation énergétique tendue va-t-elle durer ?

Cette situation énergétique (électricité & gaz) devrait durer à minima jusqu’à fin 2023. Par exemple, les flux de gaz en provenance de Russie, sont devenus très incertains et l’Europe devra fortement compter sur ses stocks de gaz et le GNL cet hiver. Elle risque donc de sortir de l’hiver avec des stocks extrêmement bas et devra à nouveau les remplir pour l’hiver 2023, hiver pour lequel il n’est absolument pas garanti que l’on puisse compter sur du gaz russe – qui représente actuellement 40% des importations de l’UE. On peut donc déjà percevoir que les prix vont rester très élevés pour le gaz en 2023 et mécaniquement, cela jouera sur le prix de l’électricité. D’autant plus que EDF prévoit de ne produire que 300 – 330 TWh en 2023 (vs 380-400 TWh en temps normal).

Les exploitants d’énergie solaire en profitent-ils ?

Les coûts de la filière étant assez bas, les exploitants d’énergie solaire peuvent, à mon sens, en profiter s’ils ont la possibilité de vendre leur électricité sur le marché de gros.

L’avantage, dans le contexte actuel d’envolée des prix, est de rentabiliser bien plus rapidement son installation et d’obtenir un ROI (Return on Investment) élevé. Les coûts d’installation des centrales solaires, selon leurs tailles et le type de centrale, varie entre 50 et 100 €/MWh, avec un prix de marché actuellement proche des 1000 €/MWh pour 2023 par exemple, l’intérêt financier est évidemment attractif. Du côté des risques, il y a évidemment le possible retournement de marché, mais cela est peu probable. A noter toutefois que les exploitants qui revendent leur électricité au tarif fixé par l’Etat ou au sein de PPA déjà conclus avec un prix bas établi ne pourront pas opter pour cette option.

Les opérateurs solaires peuvent aussi profiter de la forte hausse des prix du marché pour développer de nouveaux champs photovoltaïques ou pour conclure des PPA avec des entreprises, désireuses de trouver des solutions à moindre coût pour avoir accès à de l’électricité.

Dans un contexte d’envolé des prix de l’énergie, est-ce que les EnR peuvent constituer une valeur refuge à l’achat pour les fournisseurs et les industriels ?

D’un point de vue des coûts de production, une bascule en faveur des énergies renouvelables a été observée fin 2021 et les installations solaires sont désormais plus rentables, par la vente sur les marchés mais pas que.

Depuis début 2022, tous les consommateurs cherchent à signer des contrats PPA ! La demande est plus importante que l’offre, ce qui permet au producteur de négocier de meilleurs tarifs d’achat. On a même observé des enchères inversées où les producteurs ayant un gros pipeline EnR, comme Total, EDF ou Engie, signent avec le plus offrant pour leurs installations arrivant bientôt en service.

Dans quelle mesure l’approvisionnement en énergie solaire pourrait-il s’imposer face aux énergies fossiles ou nucléaires ?

La part du photovoltaïque en France est limitée parce que les centrales renouvelables ne sont pas pilotables et la production reste intermittente. Qui dit intermittence dit manque de contrôle sur la production électrique et il est extrêmement compliqué pour un pays comme la France, fortement électrifié et dont la consommation évolue de manière très différente en été et en hiver, de compter sur une très grande part de renouvelable. Il reste toutefois nécessaire pour réduire les émissions de CO2 du secteur électrique et, le solaire notamment, séduit de plus en plus de consommateurs (particuliers ou professionnels). Les prix élevés de l’énergie vont d’ailleurs forcément avoir tendance à inciter plus de personnes, d’entreprises, à recourir à des solutions renouvelables du fait de leur faible coût.

D’un point de vue règlementaire et politique le solaire a aussi plusieurs avantages : il est plus facile d’installer des panneaux chez des particuliers et de poser des champs PV que de développer des parcs éoliens, qui ont en plus mauvaise réputation et qui font souvent l’objet d’attaques en justice. Le solaire a cet avantage qu’il peut être posé dans de nombreux endroits (toiture, ombrières, parking, entrepôts ou hangars, sur le sol ou même sur l’eau). L’Etat aura donc tout intérêt à favoriser l’essor de cette filière, d’autant plus que l’UE pose des objectifs clairs en termes d’installation de renouvelables dans les états membres afin de participer à la réduction des émissions de CO2.

De manière plus concrète, il sera compliqué pour le marché et le réseau de s’adapter au solaire, tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement. Même si le solaire reste un moyen essentiel pour décarboner le secteur électrique, il devra composer avec le nucléaire, l’hydraulique et des centrales thermiques pour le moment et ne pourra pas constituer la première source d’énergie du pays. A moyen terme les prix élevés de l’électricité sur les marchés permettront certainement d’aider à financer les moyens de flexibilité (stockage notamment) à adosser au solaire pour en augmenter sa pénétration dans le mix électrique.

Les pompes à chaleur, aujourd’hui alimentées par le réseau, pourraient se constituer en stockage à grande échelle pour réguler la charge des EnR. Qu’en pensez-vous ? 

En effet, les ballons d’eau chaude ont été pensés pour réguler les pics de consommation sur le modèle des heures pleines/heures creuses, le ballon se remplissant en heure creuse, où l’électricité est moins chère. Aujourd’hui le prix de l’électricité aux heures pleines a tendance à se rapprocher des prix en heures creuses. Du fait de la production renouvelable, les heures pleines d’été deviennent même moins chères que les heures creuses d’hiver ! Pour déployer le solaire en se reposant sur les pompes à chaleur, il faudrait prévoir un fort développement local, sur le modèle de la boucle locale de l’énergie.

Edouard Lotz – Analyste des marchés de l’énergie

Diplômé du Master 2 en Droit de l’Energie de l’Université de Strasbourg ainsi que du Master spécialisé en Management de l’Energie de l’ESCP, Edouard LOTZ est analyste sur les marchés de l’électricité, du gaz et du carbone au sein de chez Omnegy. Il a auparavant travaillé au sein de chez SUEZ dans la valorisation énergétique et chez Ecoslops, une cleantech du secteur pétrolier.

Nicolas Leclerc – Cofondateur

Cofondateur d’OMNEGY, en charge de la veille, du suivi et de l’accès aux marchés de gros (électricité, gaz naturel, CO2, GO) pour le compte des clients d’OMNEGY. Dans son périmètre se trouve également les fonctions relatives aux relations externes, composées du marketing, de la représentation publique et des partenaires (fournisseurs d’énergie et de services). Nicolas a commencé sa carrière sein du groupe Engie où il a participé au dimensionnement de pipes de gaz puis aux changements profonds de market-design qu’ont été la fusion des zones et la régulation du stockage. Il a ensuite rejoint Gazprom Energy en charge de l’offre commerciale et du sourcing de l’obligation CEE.

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