Co-implantation, le nouveau mot d’ordre

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D’après pv magazine international.

L’idée erronée selon laquelle le stockage de l’énergie en co-implantation ne fonctionne pas, répandue de longue date au Royaume-Uni, perd rapidement de sa pertinence. Au cours des deux dernières années, près de la moitié de l’ensemble des nouveaux projets de solaire autorisés dans le pays étaient assortis de systèmes de stockage co-implantés, marquant un tournant net dans le paysage des énergies renouvelables. À terme, la co-implantation du stockage pourrait bien devenir le modèle par défaut pour les énergies renouvelables de la nation.

Au cours des 18 derniers mois, plusieurs étapes clés ont été franchies dans le domaine de la co-implantation. En premier lieu, mi-2022, des projets co-implantés ont passé des accords dans le cadre du mécanisme d’incitation des contrats sur différence (CFD), à la suite d’un amendement autorisant l’intégration du stockage co-implanté dans les CFD.

Avantages vs. inconvénients de la co-implantation

Maximise les revenus via le déplacement des chargesExige le respect de la règlementation relative aux installations solaires et de celle relative aux batteries
Permet de puiser dans la capacité connectée au réseau et sous-utilisée par l’installation solaire seulePose des difficultés pour trouver le bon investisseur et financer la dette en raison de modèles commerciaux radicalement différents
Permet le surdimensionnement des installations PV via la vente de l’électricité excédentaireLimite les revenus potentiels des SSEB, en particulier ceux provenant de services auxiliaires

 

Dans un deuxième temps, en mai, Cero Generation et Enso Energy ont bouclé le financement de leur projet pour un système de stockage de l’énergie combiné à une centrale solaire et directement connecté au réseau, le premier du genre au Royaume-Uni. Plus récemment, en juillet, avec le soutien du cabinet de conseil suisse Pexapark, le fonds d’investissement néerlandais DIF Capital Partners a conclu le premier contrat d’achat d’énergie (PPA) du Royaume-Uni portant sur un projet hybride bancable, non subventionné et co-implanté avec l’entreprise française de service public Engie, un projet solaire de 55 MW co-implanté avec 40 MW de stockage.

Bien que spécifique au Royaume-Uni, le tiercé composé de l’éligibilité aux subventions, de la disponibilité des financements et d’une demande de PPA constitue une grand changement dans la commercialisation des projets solaire+stockage. Ainsi, l’échelle classique de la capacité de stockage passe de 20 % de la capacité de production à plus de 100 % sur un nombre croissant de sites et Apricum observe que de plus en plus d’investisseurs importants préfèrent désormais les projets co-implantés.

À mesure que l’attrait des sites co-implantés croît, poussé par les avantages qu’ils présentent, plusieurs obstacles doivent être surmontés pour assurer son adoption plus large. La co-implantation du solaire et du stockage au Royaume-Uni possède en effet de nombreux atouts.

Résoudre les problèmes de cannibalisation

D’une manière générale, lorsque la pénétration des énergies renouvelables prend de l’ampleur, chaque projet additionnel est davantage exposé aux effets de la « cannibalisation ». Ce phénomène qui touche tous les systèmes survient lorsque le succès du solaire tire les prix de l’électricité vers le bas, réduisant la rentabilité des futurs sites de PV. Les marchés à forte pénétration du solaire sont donc ceux qui ont le plus besoin d’atténuer les éventuels impacts de la cannibalisation. Le déplacement des charges, grâce à la co-implantation du stockage, constitue une solution d’atténuation. Le stockage de l’énergie, qui protège la valeur des actifs à long terme, est de plus en plus considéré comme un atout permettant de valoriser les projets PV.

Connexions au réseau

Les délais allongés pour obtenir une autorisation et une connexion au réseau ont constitué des obstacles importants au déploiement des énergies renouvelables, tant au Royaume-Uni que dans le reste de l’Europe. Si les projets de solaire seul utilisent souvent moins de 20 % de leur capacité de connexion au réseau, les systèmes de stockage de l’énergie des projets co-implantés peuvent recourir à une partie de cette capacité inutilisée pour générer des sources de revenus supplémentaires. Dans certains cas, ces revenus atténuent les dépenses en capital du système de stockage.

Capacité de surdimensionnement

Les projets couplés à des batteries ont la préférence des développeurs de solaire car l’électricité excédentaire qui ne peut pas être exportée vers le réseau en raison des contraintes est alors susceptible d’être stockée et vendue. Lorsqu’un système est couplé en CC (la batterie est connectée au système solaire côté CC et un seul onduleur est utilisé, contrairement à un système couplé en CA où deux onduleurs distincts sont utilisés pour le solaire et la batterie), le stockage permet d’éviter l’écrêtage par un onduleur solaire de la production d’électricité excédentaire. Dans les deux cas, la co-implantation permet le surdimensionnement de la capacité de production, et donc de maximiser des revenus limités par la principale contrainte du secteur : la capacité de connexion au réseau.

En dépit de ces avantages, rien ne dit que les projets solaires seront toujours développés avec des systèmes de stockage de l’énergie. Cette approche pose en effet des difficultés techniques et au niveau du marché, et comporte d’éventuels inconvénients.

Planification, autorisations

Les projets co-implantés doivent respecter la règlementation relative aux installations solaires d’une part, et celle relative aux batteries d’autre part, ce qui vient compliquer les demandes d’autorisation dans une procédure déjà éprouvante. De plus, lorsqu’un développeur de solaire qui a déjà obtenu un permis de raccordement au réseau décide d’ajouter de la capacité de stockage à son projet, la date de raccord peut s’en trouver repoussée. À mesure que le nombre de projets co-implantés augmente, on assiste néanmoins à des changements favorables en termes de règlementation et de procédure de délivrance de permis.

Structuration des accords

Les projets de solaire et de stockage présentent des modèles commerciaux très différents. Tandis que les projets de solaire proposent des revenus sûrs à long terme, le stockage sur batterie fonctionne sur le marché libre, et 85 % à 95 % des revenus proviennent de services auxiliaires des réseaux. Les investisseurs de ces deux types de contrat ont généralement une tolérance au risque radicalement opposée, ce qui a freiné les investissements. Séparer les contrats entre différentes parties génère des difficultés de fonctionnement et des conflits à propos de la connexion au réseau.

Étapes récemment franchies au Royaume-Uni en termes de projets co-implantés

  • Été 2022 : pour la première fois, des contrats portant sur des projets co-implantés sont conclus dans le cadre du programme des contrats sur différence.
  • Mai 2023 : Cero Generation et Enso Energy bouclent le financement d’un projet pour un système de stockage de l’énergie combiné à une centrale solaire et directement connecté au réseau, premier du genre au RU
  • Juillet 2023 : DIF, avec le soutien de Pexapark, conclut le premier PPA du RU pour un projet hybride bancable, non subventionné et co-implanté.

De plus, la consolidation de la dette demeure un problème en raison de la nature relativement nouvelle des entreprises co-implantées. Les institutions financières les ayant toujours perçues comme présentant des risques plus élevés, ces projets affichaient des taux d’intérêt plus élevés, des rendements plus bas et, partant, offraient un intérêt limité pour les investisseurs. Les choses changent à présent avec l’augmentation des seuils de tolérance au risque, notamment car les compagnies d’électricité et les acteurs du secteur énergétique viennent supplanter les investisseurs financiers en tant qu’acquéreurs principaux des actifs solaires. Les compagnies d’électricité apportent un intérêt commercial plus important tout en étant moins dépendantes au financement des projets.

Les exemples cités de PPA hybrides et de financement de projets co-implantés montrent que les problèmes d’achat et de financement commencent à trouver des solutions, même du côté des investisseurs financiers. Les PPA hybrides devraient également abandonner les accords contractuels séparés pour les actifs de production et les actifs de stockage d’énergie renouvelable, à l’instar du PPA signé par DIF Capital Partners, pour passer à un contrat unique couvrant l’approvisionnement d’électricité verte 24h/24 et 7j/7.

Contraintes en termes de revenus

Les développeurs de stockage de l’énergie sur batterie hésitent parfois à opter pour une co-implantation avec une centrale solaire à cause des répercussions sur les revenus commerciaux. En raison des contraintes de réseau, l’exportation de l’électricité solaire est prioritaire, ce qui peut limiter le potentiel de revenus des batteries issus de services auxiliaires du réseau, comme la réponse de fréquence. Les connexions couplées CC efficaces limitent en outre les possibilités de fournir des services auxiliaires. En conséquence, investisseurs et acheteurs préfèrent souvent un couplage CA. Ainsi, trouver le bon compromis et affiner les algorithmes de négociation de manière adaptée devient un enjeu crucial pour minimiser les pertes.

Défis technologiques

L’intégration technique des systèmes de stockage de l’énergie dans les installations solaires exige une grande expertise en ingénierie, laquelle augmente les coûts et les délais de développement. Par exemple, les contraintes du réseau peuvent empêcher la capacité de solaire et de stockage d’exporter simultanément au-delà d’une certaine limite, afin d’éviter les amendes imposées par les gestionnaires des réseaux de distribution. Pour respecter la législation, les exportations doivent être contrôlées et limitées sur les sites au moyens de matériel et de logiciels.

Les prochaines étapes

Bien que seulement huit projets co-implantés aient été mis en service au Royaume-Uni à ce jour, Apricum est convaincu que la part des projets co-implantés va s’accroître de manière significative sur tous les marchés classiques de l’énergie renouvelable du pays. Ce sera notamment le cas dans les régions à forte pénétration, où la cannibalisation et les contraintes de réseau constituent des risques croissants.

Ainsi, en 2022 en Espagne, 150 millions d’euros de subventions ont été accordés au stockage de l’énergie co-implanté avec des énergies renouvelables. Ce type de soutien politique de la part du gouvernement, associé à une cannibalisation croissante, pousse déjà les investisseurs à s’intéresser aux projets co-implantés. L’Allemagne a également mis en place un mécanisme de subvention dédié aux projets hybrides, lequel augure d’un bel avenir pour la co-implantation et a incité des projets tels que le site de solaire+stockage commandé par Enerparc en avril.

Les développeurs qui s’aventurent dans des projets co-implantés se heurtent à des problèmes beaucoup plus complexes d’autorisation, de contrat, de financement et de planification technologique. Il faudra impérativement renforcer la structure des contrats et la capacité de gestion des risques si l’on veut tirer pleinement avantage de la co-implantation. Toutefois, ces investissements de départ permettent de créer des actifs plus résilients et de plus grande valeur sur le long terme.

Cette complexité accrue touche aussi les transactions. Pour vendre des actifs de développement co-implantés, il faut un vendeur ou un courtier plus spécialisé que ceux qui vendent des droits pour des projets individuels. Le vivier de conseillers et d’acheteurs compétents se réduit donc d’autant. Grâce à ses compétences approfondies en matière de modélisation, d’ingénierie et de financement, Apricum sort du lot et le cabinet s’attend à jouer un rôle croissant dans les transactions d’actifs co-implantés dans tout le Royaume-Uni et en Europe.

À propos des auteurs 

Charles Lesser dirige les mandats de conseil en transaction chez Apricum. Il aide les entreprises à s’orienter dans les questions de stockage de l’énergie, de mobilité verte, d’énergie numérique et de risque commercial. Il possède plus de 22 ans d’expérience dans le secteur des banques d’investissement en énergie et du conseil aux entreprises publiques et privées, des start-ups aux entrées en bourse, en passant par les levées de capitaux, les fusions et acquisitions et les transactions stratégiques. Auparavant, il a occupé les postes de directeur général et de chef des ressources naturelles chez Panmure Gordon.

Alexandra Popova, consultante en management, concentre son activité sur le développement stratégique des technologies propres et l’analytique avancée. Avant de rejoindre Apricum, elle a travaillé en tant que Engagement manager chez McKinsey & Company, où ses projets portaient notamment sur le développement d’une feuille de route technologique pour une compagnie d’énergie, le soutien du lancement mondial d’un acteur numérique dans le secteur de la vente d’énergie au détail ou encore la réalisation d’une étude de marché pour une start-up de production d’énergie.

Traduction assurée par Christelle Taureau.

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