La loi européenne sur le climat qualifiée de « capitulation » par Greta Thunberg et de « déception » par les associations et les politiciens

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Lorsque la Commission européenne a présenté cette semaine sa première loi sur le climat à la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI, en initiales anglaises) du Parlement européen, la présidente Ursula von der Leyen n’avait peut-être pas anticipé la consternation exprimée face à un ensemble de politiques fondamentales qu’elle a promis de livrer dans les 100 jours suivant son entrée en fonction.

Le projet de loi devra être adopté par le Parlement et le Conseil européen, composé des dirigeants des 27 États membres disposant du droit de vote, avec tous les risques d’édulcoration et de renégociation que cela implique.

Si la garantie d’une économie neutre en carbone en 2050 est au cœur de la proposition de loi, c’est l’absence d’exigences plus strictes envers les États membres au cours de la prochaine décennie qui a suscité une vague de réactions négatives.

Fridays for Future, Greta Thunberg

Le mouvement de protestation pour le climat des élèves “Fridays for Future”, dirigé par Greta Thunberg, a critiqué le manque d’ambition et d’objectifs scientifiquement fondés. Thunberg et 33 des principaux activistes des Fridays for Future ont déclaré, dans une lettre ouverte aux institutions européennes : “Nous ne nous satisferons de rien d’autre qu’une trajectoire scientifiquement fondée qui nous donne la meilleure chance possible de sauvegarder les conditions de vie futures de l’humanité et de la vie sur Terre telle que nous la connaissons. Tout le reste, c’est de la capitulation. Cette loi sur le climat est une capitulation, parce que la nature ne négocie pas et que vous ne pouvez pas faire de “marchés” avec la physique”.

Le groupe critique le fait que 2050 soit la date clé de la législation, et non 2030. Les données scientifiques actuelles sur le climat, selon les activistes, indiquent que le monde ne dispose que d’un budget carbone sur huit ans, en gardant les niveaux actuels, si le réchauffement climatique doit être maintenu à moins de 1,5 °C.

S’adressant à la commission ENVI en milieu de semaine, Greta Thunberg a déclaré « la meilleure probabilité que nous ayons de contenir la hausse de la température mondiale moyenne sous les 1,5 ºC est de 67%. Pour nous donner toutes les chances d’atteindre cet objectif, nous disposons d’un budget restant de moins de 340 Gt de CO2 à émettre à l’échelle mondiale. […] Aucune stratégie, politique ou engagement ne sera suffisant tant que nous continuerons à ignorer le budget CO2 applicable aujourd’hui. L’objectif ”zéro émission nette d’ici à 2050” équivaut à capituler, à baisser les bras. Nous n’avons pas seulement besoin d’objectifs pour 2030 ou 2050. Nous avons surtout besoin d’objectifs pour 2020 ainsi que pour l’ensemble des mois et années à venir.”

Réseau Action Climat

Wendel Trio, directeur de l’organisation Climate Action Network, basée en Tanzanie, a déclaré à propos de la législation proposée : « La loi européenne sur le climat risque de devenir une coquille vide, car le projet, qui a fait l’objet d’une fuite [et qui a été publié lundi], ne fournit aucune feuille de route claire sur la trajectoire de l’UE pour atteindre l’objectif de neutralité climatique convenu pour 2050, 2030 en étant la principale étape. En proposant seulement en septembre une révision à la hausse de l’objectif pour 2030 , la Commission ne laissera pas aux États membres le temps de parvenir à un accord d’ici la COP26 [sommet sur le changement climatique de Glasgow] en novembre, date limite à laquelle tous les pays doivent s’engager à prendre de nouvelles et ambitieuses mesures en faveur du climat pour 2030. L’Union européenne doit se mettre en ordre de marche et inciter rapidement les autres pays à apporter des contributions substantielles bien avant l’échéance de novembre. »

Wendel Trio a suggéré que les chefs d’État et de gouvernement pourraient profiter de leurs réunions prévues en mars et en juin pour trouver un accord visant à réduire de 65% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport aux niveaux de l’année de référence 1990. Cela constituerait un objectif plus strict que les 50-55% suggérés dans le projet de loi, qui n’entrerait en vigueur qu’à partir de septembre. Cependant, des diversions telles que la gestion de l’épidémie de COVID-19 en Europe – notamment en Italie -, une éventuelle nouvelle crise des migrants en Grèce et la négociation d’un accord commercial post-Brexit avec le Royaume-Uni d’ici la fin de l’année, sont autant de facteurs qui risquent de prendre beaucoup de temps aux comités du Conseil européen.

Comme Thunberg, Trio a également critiqué l’absence d’objectifs scientifiquement fondés dans le projet de loi sur le climat. « Le Conseil et le Parlement européen doivent améliorer la loi afin qu’elle prévoie la création d’un organe consultatif scientifique indépendant, seule garantie pour que les objectifs climatiques de l’UE soient basés sur les dernières données scientifiques disponibles », a écrit le directeur.

Greenpeace EU

Sebastian Mang, conseiller en politique climatique pour l’organisation environnementale Greenpeace EU, a déclaré : « Sans projet d’objectif scientifiquement fondé pour 2030, ni mesures pour mettre fin aux subventions aux combustibles fossiles, nous nous préparons à l’échec. Des décennies d’hésitation et de demi-mesures nous ont conduits à un point où la survie même de la vie sur Terre est menacée par la dégradation du climat. Il est temps d’agir maintenant, pas dans 10 ans. »

Greenpeace a ajouté dans une déclaration publiée en réponse au projet de législation, que si les réductions de carbone avaient été prises au sérieux il y a dix ans, les baisses annuelles requises auraient été d’environ 3,3% par an. L’organisation ajoute que, selon un récent rapport de l’ONU, 7,6% de réduction de carbone sont désormais nécessaires chaque année pour rester dans la limite de 1,5 °C. Selon Greenpeace Europe, ce chiffre passerait à 65% d’ici 2030 si nous continuons comme nous le faisons.

SolarPower Europe

L’organisme européen représentant l’industrie solaire SolarPower Europe a au moins eu la gentillesse de concéder que le plan de Van der Leyen était un début.

« La proposition de loi sur le climat est un pas dans la bonne direction pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 », a déclaré la PDG Walburga Hemetsberger. « La loi garantira une base juridique solide pour le Green Deal européen, envoyant un signal fort sur le rôle de l’UE comme leader mondial en matière de climat, et ferait de l’Europe le premier continent à avoir un objectif de neutralité climatique juridiquement contraignant.”

“L’énergie solaire, en tant que technologie énergétique propre la moins coûteuse et la plus facile à déployer, jouera un rôle crucial en aidant les États membres à atteindre un niveau d’émissions net nul. Pour le secteur solaire, la loi sur le climat offre une garantie supplémentaire que l’UE prend la transition énergétique au sérieux, en affirmant la nécessité d’accélérer le développement et le déploiement de l’énergie solaire.”

“Pour y parvenir, nous devons instaurer un organe de mise en œuvre du paquet “énergie propre” pour veiller à ce que l’ensemble des politiques nécessaires au déploiement des énergies renouvelables soient élaborées au niveau national de manière harmonisée. Il est également important d’envisager des efforts supplémentaires pour résoudre les goulets d’étranglement nationaux liés à l’accès au réseau et aux procédures d’autorisation.”

“Parallèlement, une stratégie industrielle globale pour l’énergie solaire et les énergies renouvelables sera essentielle pour garantir une industrie européenne des énergies renouvelables forte qui bénéficiera de cette croissance et aidera les entreprises industrielles à développer leurs installations. »

La France

Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) souligne qu’il est bien entendu favorable à un relèvement des ambitions en matière de réduction des GES [gaz à effet de serre] à horizon 2030 de 40 à « 50 à 55% » dans le cadre de cette loi Climat. « D’ailleurs Emmanuel Macron (le Président français, ndlr) a rappelé l’ambition de la France dans le cadre des discussions autour du Green Deal et sa volonté de renforcer le niveau d’exigence. »

“En France, ce rehaussement des objectifs devrait contribuer à dynamiser un peu plus la filière photovoltaïque ainsi que toutes les EnR électriques. Ce dynamisme des EnR électriques devrait permettre à la France de continuer son rôle de grand producteur et d’exportateur sur le réseau électrique européen. »

“Ceci étant, la finalisation de cette loi est à horizon un an et l’objectif de -50% ou -55% n’est pas gravé dans le marbre. A l’issue de la finalisation de la loi, l’enjeu sera ensuite de définir les moyens opérationnels pour y parvenir, notamment la directive énergies renouvelables, avec des lignes directrices et des mécanismes de soutien adaptés aux spécificités de chaque pays pour développer un bouquet énergétique varié et complémentaire entre énergies. Enfin, il sera assez vite question de savoir quel prix nous donnons au carbone dans le futur pour aller vers la neutralité carbone. »

L’Espagne

Pour l’association espagnole pour le photovoltaïque UNEF, « le secteur photovoltaïque est déçu par le manque d’ambition et de cohérence de la plupart des pays de l’UE pour lutter contre l’urgence climatique. Selon nous, il est fondamental d’accroître l’ambition en fixant les objectifs européens de réduction du CO2 d’ici 2030 des 40 % actuels à 50 % ou, si possible, à 55 %. Il s’agit d’une mesure conforme à l’Accord de Paris, nécessaire et cohérente pour atteindre l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050. De plus, l’Union européenne donnerait ainsi un bon exemple au niveau international, en encourageant les autres pays à agir dans le même sens. Comme l’Espagne l’a démontré lors de la préparation de son PNIEC [Plan Nacional Integrado de Energía y Clima, plan national intégré énergie-climat], il faut de l’ambition pour faire face à la crise climatique que nous connaissons. De plus, grâce à son haut niveau de compétitivité économique, la technologie photovoltaïque est prête à assumer un rôle de premier plan dans cette nécessaire transition énergétique vers un modèle 100% durable. »

Finlande

La Finlande, qui s’est fixée des objectifs de décarbonisation beaucoup plus stricts que l’UE, fait partie des 12 États membres qui ont signé une lettre ouverte à la Commission et au Conseil demandant des objectifs 2030 plus stricts, fondés sur des faits scientifiques.

Tapio Tuomi, le directeur exécutif de l’association finlandaise pour l’énergie propre Lähienergia, a déclaré : « Je suis très fier de faire partie de l’Union européenne. L’initiative de la Commission visant à ajouter à la législation l’objectif d’une Union européenne climatiquement neutre d’ici 2050, en combinaison avec le plan d’investissement européen “Green Deal” et le mécanisme de transition équitable, envoie un message très fort quant à la réalisation de cet objectif. Toutefois, l’année 2050 est assez lointaine et l’objectif est très difficile à atteindre, c’est pourquoi je m’attendais à ce que les objectifs pour 2030 soient également actualisés. Cela aurait rendu l’initiative plus crédible. »

Les Eurodéputés

Ska Keller, coprésident du groupe des Verts et de l’Alliance libre européenne au Parlement européen, a déclaré : « La loi sur le climat présentée… par la Commission européenne est décevante. Surtout, il est décevant que la Commission européenne n’ait pas présenté d’objectif pour l’année 2030 et ne joue pas son rôle de leader dans les négociations internationales sur le climat. Si la Commission européenne attend jusqu’en septembre pour présenter ses objectifs climatiques pour 2030, nous ne pourrons pas en prévoir d’autres et il sera beaucoup trop tard pour Glasgow. »

La Gauche unitaire européenne et la Gauche verte nordique ont déclaré que la loi proposée trahissait les jeunes générations du bloc.

« Alors que l’humanité se lance dans une course contre la montre pour sauver notre planète, la Commission européenne propose une loi sur le climat qui reporte l’établissement d’une trajectoire contraignante vers la neutralité carbone et ne s’attaque pas aux causes profondes du chaos climatique, comme les subventions aux combustibles fossiles et le libre-échange », a déclaré la coprésidente du groupe, Manon Aubry. « Comment les fonctionnaires européens, avides de séances photo, osent-ils regarder Greta Thunberg et d’autres jeunes dans les yeux cette semaine, tout en proposant une loi sur le climat qui trahit leur appel à l’action ? »

Le groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), eurosceptique, a en revanche semblé se méfier de la possibilité d’un renforcement des exigences des États membres en matière d’émissions de carbone après 2030.

« Nous pensons que toute proposition visant à augmenter les objectifs de réduction des émissions de l’UE doit être basée sur une étude d’impact pour évaluer les risques socio-économiques associés, et être alignée sur le cycle de planification, de mise en œuvre et d’examen des parties des NDC [contributions nationales déterminées pour lutter contre le changement climatique] des Accords de Paris », a déclaré Pietro Fiocchi, membre du parti ECR et du parti fasciste Frères d’Italie. « Le groupe ECR analysera en détail et remettra en question la proposition de loi sur le climat ; la crédibilité et la valeur à long terme d’une politique européenne pragmatique et fondée sur des preuves en dépendent. »

La prochaine étape

La balle est maintenant dans le camp du Parlement européen, comme l’a souligné Jytte Guteland, coordinatrice de la commission de l’environnement et rapporteur sur la loi climatique de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates.

« La loi sur le climat est une chance pour l’Europe de faire un pas historique dans notre développement et notre transition vers un continent neutre sur le plan climatique », a-t-elle déclaré. « Mais elle ne deviendra que ce que nous en ferons et il est maintenant important que le Parlement européen renforce la proposition de la Commission. Pour être en conformité avec l’Accord de Paris, l’UE doit s’engager à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030 et cet objectif doit être inscrit dans la législation sur le climat. C’est crucial pour nos efforts en matière de climat, mais aussi pour donner aux marchés une trajectoire claire et stable pour atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. »

Le groupe libéral et pro-européen Renew Europe a déclaré que la proposition de loi sur le climat était une décision historique et a salué l’augmentation de l’objectif de réduction de 40 à 55% pour 2030. Il estime qu’il faut mettre en œuvre davantage d’« éléments clés » pour garantir une économie sans carbone d’ici 2050.

Enfin, pour Pascal Canfin, député européen et président de la commission de l’environnement du Parlement, « La loi sur le climat est le moteur du Green Deal, car tout le reste en découlera. C’est un bon point de départ, mais pour répondre aux faits scientifiques, à nos engagements et aux demandes des citoyens européens, nous devons aller plus vite et plus loin. Nous devons aller plus vite pour être prêts avec un accord [tripartite] avant la COP26 et nous devons aller plus loin en fixant un objectif intermédiaire en 2030 pour une réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre, et en exigeant que toute la future législation européenne soit mise en conformité avec la neutralité climatique. »

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