Analyse : le retour de la production photovoltaïque mondiale

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D’après pv magazine, numéro de juillet 2022.

Depuis la disparition d’anciens poids-lourds de la fabrication de PV en Europe, comme Q-Cells et SolarWorld (ainsi que l’abandon par Bosch de ses 2 milliards d’euros [2,06 milliards de dollars] d’investissements dans la fabrication de PV en Allemagne), les investisseurs institutionnels ont évité tous les risques liés aux projets comprenant la fabrication de PV à grande échelle en Europe.

En 2022 pourtant, il semblerait que les vents ont tourné. Certes, le sentiment d’urgence ressenti aujourd’hui face à l’accélération des changements climatiques n’est pas nouveau ; ce qui l’est en revanche, c’est la volonté de ne plus ignorer à quels types de gouvernement l’exportation des énergies fossiles bénéficie le plus.

Depuis fin février dernier et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la question de réduire la dépendance de l’Europe au pétrole et au gaz russes le plus rapidement possible est au centre de tous les débats politiques. Si cette problématique stimule les plans de croissance déjà solides de l’industrie des énergies renouvelables, elle met aussi en lumière une autre vérité gênante : l’Europe n’est pas en mesure de fabriquer elle-même les composants nécessaires à une transition énergétique accélérée.

Il y a quinze ans, l’Europe abritait les leaders de la fabrication du PV. Elle affiche toujours le montant par habitant le plus élevé d’investissements dans les activités de R&D en matière de technologies renouvelables menées dans les instituts de recherche financés par l’État.

Le rôle de la Chine

Une évaluation de l’approvisionnement en composants pour les installations PV et éoliennes au niveau mondial conclut sobrement que, au cours de la dernière décennie, l’industrie est devenu entièrement dépendante des fabricants chinois pour ce qui est des éléments clés nécessaires à la mise en œuvre de la transition énergétique mondiale.

Désormais, de grands fabricants chinois intégrés contrôlent plus de 90 % du marché mondial de wafers, de cellules et de modules, ainsi qu’une grande partie du marché des onduleurs solaires. Les usines sont situées en Chine et dans les pays voisins en Asie du Sud-Est, notamment le Vietnam et la Malaisie. Aujourd’hui, seul un très petit nombre de fabricants européens de modules et d’onduleurs subsistent après que l’industrie a été sévèrement mise à mal par l’incohérence des politiques en matière d’énergies renouvelables mises en œuvre dans tous les pays d’Europe.

Force est de constater que le monde est en train d’échanger sa dépendance envers les pays exportateurs de combustibles fossiles (comme la Russie, les pays du Golfe, le Venezuela et le Brésil) pour répondre à ses besoins énergétiques contre une dépendance envers les fabricants chinois des composants nécessaires aux centrales utilisant des énergies renouvelables. Une perspective qui n’a rien de rassurant.

En mars 2022, la commissaire européenne à l’énergie Kadri Simson s’est engagée à faire « tout ce qu’il faut » pour s’assurer que la fabrication du solaire soit relocalisée dans la région. Il va de soi que les nouveaux acteurs espérant émerger devront déployer des capacités de production annuelle de l’ordre de plusieurs gigawatts pour avoir le moindre impact sur le marché et devenir compétitifs par rapport à leurs concurrents asiatiques.

La Turquie, passerelle entre deux continents

Deux entreprises installées en Turquie, aux frontières de l’Europe, sont en passe de mettre en place des capacités de production de cellules et de modules de l’ordre de 2 à 2,5 GW, sans subventions directes de l’État. L’une d’entre elles, Smart Solar Technology, a été fondée en 2009 en Bulgarie. En 13 ans d’existence, l’entreprise a d’abord été producteur d’énergie indépendant dans l’est de l’Europe, puis également contractant EPC fournissant des services à des tiers dans cette région en 2013-14, avant de se lancer dans la fabrication de modules en 2016-17.

À l’origine, la capacité annuelle de production de l’usine de modules, située à l’est d’Istanbul, était d’environ 400 MW. Depuis, l’usine a augmenté sa capacité à deux reprises et produit aujourd’hui des modules à la pointe de la technologie totalisant plus de 1 GW par an.

En décidant en 2015 de séparer les activités en trois divisions distinctes (producteur indépendant, EPC et fabricant), Halil Demirdağ, fondateur de l’entreprise, a convaincu Hakan Akkoç, son collègue rencontré à l’université, de rejoindre le comité de direction de Smart Solar pour y occuper le poste de directeur opérationnel et directeur technique, responsable des achats et de la fabrication. Si les deux hommes avaient déjà réfléchi à la possibilité d’intégrer davantage les opérations en amont et de se lancer dans la fabrication de cellules photovoltaïques dès 2019, c’est en février 2021, en pleine crise du Covid-19, qu’ils ont convenu que c’était la seule solution pour que Smart Solar conserve des perspectives de croissance.

Devant les fermetures d’usines dues aux flambées de Covid-19 dans le monde entier, conjuguées aux contretemps et retards croissants au niveau des transports internationaux, les deux directeurs ont conclu que le moment était venu d’investir dans la fabrication de cellules. Pour que cette décision stratégique puisse récolter les fruits attendus, il ne faisait aucun doute que les capacités de fabrication des cellules et modules photovoltaïques devraient d’entrée de jeu être à la hauteur de la demande. Et pour que Smart Solar Technology puisse respecter un tel engagement, l’entreprise devait faire appel à des investisseurs extérieurs.

Alors que la plupart des entreprises envisageaient (au moins de manière temporaire) de licencier et de reporter leurs projets d’investissements, Smart Solar a pris la décision audacieuse d’entrer en bourse et d’aller de l’avant pour réaliser ses ambitions en matière de fabrication de cellules. L’un des aspects clés du plan de Smart Solar pour ce faire consistait à rester à la pointe des avancées technologiques dans le secteur des modules, notamment des panneaux à demi-cellules et des modules bifaciaux.

Pour mettre en œuvre ses propres projets PV entre 2011 et 2013, Smart Solar avait évalué l’offre des fabricants de modules dans le monde entier. Comme toute entreprise cherchant à développer son projet, elle voulait trouver les modules présentant le meilleur rapport coût-efficacité pour équiper ses centrales PV. En exposant les objectifs de son activité de producteur d’énergie indépendant au fabricant chinois Phono Solar, filiale de Sumec Group, Halil Demirdağ était arrivé à la conclusion que Phono Solar était en mesure de lui fournir le type de produit qu’il cherchait : un module optimisé en termes de stabilité et de rendement énergétique. Au niveau du prix par Wp, les modules de Phono Solar n’étaient certes pas les moins chers du marché, mais en tant que producteur indépendant, Smart Solar préférait miser sur le coût sur la durée de vie par kWh d’énergie générée plutôt que sur le coût d’investissement. Les modules de Phono Solar étaient bien mieux placés que ceux de la plupart de ses concurrents pour atteindre cet objectif.

Composants locaux

Un événement extérieur a ensuite décidé Smart Solar à installer sa production de modules en Turquie. Le pays avait en effet annoncé qu’il accorderait des tarifs de rachat plus élevés aux installations photovoltaïques respectant certaines exigences nationales, à savoir que les modules au moins soient fabriqués en Turquie. En concluant un partenariat avec Sumec Group pour ses projets de fabrication, Smart Solar a pu bénéficier de toute l’expertise accumulée par Phono Solar au fil des années.

Avec l’aide de cette dernière, il a ainsi fallu moins de quatre mois à Smart Solar pour déployer sa capacité de fabrication de modules. L’utilisation de composants similaires à ceux des modules déjà certifiés de leur partenaire chinois garantissait en outre la rapidité du processus de certification pour leur nouveau module.

Du côté de Sumec Group, la coopération avec Smart Solar Technology comportait certains avantages évidents : une usine de modules sur laquelle les droits de douane de l’UE ne s’appliqueraient pas, et un produit qui pourrait compenser facilement son prix plus haut sur le marché turc par la meilleure rémunération de l’énergie générée par ces modules en Turquie.

Ce prix plus élevé sur le marché national turc explique pourquoi les ventes de Smart Solar à l’international ne représentent que 10 % de ses recettes totales. Après tout, pourquoi vendre des modules à l’étranger si l’on peut les vendre plus cher sur son marché intérieur ? Malgré cette préférence marquée pour les ventes nationales, Smart Solar reste toutefois présent dans plusieurs régions et vend des modules dans plus de huit pays d’Asie et d’Europe.

Parmi les projets à moyen terme de sa branche Producteur d’énergie indépendant, qui ne fait pas partie de l’entité cotée en bourse, Smart Solar envisage la création de centrales d’une capacité de plusieurs MW dans des pays tels que l’Italie, l’Espagne ou les États-Unis. En outre, une nouvelle usine de cellules entrera en activité début 2023. Celle-ci fabriquera des cellules solaires PERC de type p avec une efficacité revendiquée supérieure à 22 %, et sera en mesure de passer à la fabrication de cellules de type n peu de temps après.

L’introduction en bourse

Bien qu’il s’agisse d’une transaction boursière relativement modeste ayant levé 36 millions de dollars, l’introduction en bourse de Smart Solar sort du lot. Sur le premier semestre 2022, elle a enregistré l’un des pires semestres des 20 dernières années en termes d’évolution boursière au niveau mondial. Toutefois, le cours de l’action de Smart Solar est resté supérieur au prix de lancement, conférant à l’entreprise une valorisation post-IPO de près de 150 millions de dollars. En fait, depuis son introduction en bourse, le prix de l’action a augmenté de plus de 50 %. À notre connaissance, Smart Solar Technology a été la première entreprise de fabrication de PV à base de silicium cristallin de tout l’Occident à entrer en bourse au cours des cinq dernières années au moins, voire même de la dernière décennie.

La majeure partie des recettes résultant de l’introduction en bourse sont destinées à la construction près d’Izmir, sur le côte méditerranéenne, d’une usine de fabrication de cellules PV d’une capacité de 2 GW et d’une ligne d’assemblage de modules d’une capacité de 1 GW. Toute l’opération de levée de fonds reposait sur un argument clé : l’expansion de l’intégration verticale parallèlement à l’augmentation de la capacité de production globale.

Dans un prochain numéro de pv magazine, nous examinerons le cas d’une action encore plus audacieuse dans le secteur de la fabrication PV, menée par l’entreprise turque Kalyon PV. Celle-ci a implanté une toute nouvelle usine de production intégrée de wafers, de cellules et de modules photovoltaïques d’une capacité de 1 GW à 50 km environ au sud-ouest d’Ankara, la capitale turque.

Par Götz Fischbeck.

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