L’impact du décret contentieux PV sur les porteurs de projets solaires

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pv magazine France : quel est l’objet de cette réforme ?

François Versini-Campinchi : le décret n°2022-1379 du 29 octobre 2022 a pour objet d’instituer un régime contentieux dérogatoire, codifié à l’article R. 311-6 du code de justice administrative, concernant certaines installations de production d’énergie renouvelable, dont les centrales photovoltaïques, au sol comme en toiture, d’une puissance supérieure à 5 MWc. Ce décret vise l’ensemble des autorisations délivrées pour ces projets, entre le 1er novembre 2022 et le 31 décembre 2026. Il s’agit bien entendu des permis de construire et déclarations préalables au titre du code de l’urbanisme, mais également de toutes les autorisations accessoires, telles que les autorisations de défrichement, les autorisations et déclaration au titre de la loi sur l’eau ou les dérogations espèces protégées, de même que les décisions de prorogation ou modificatives de ces autorisations.

Ce régime dérogatoire a principalement pour objet d’imposer un délai maximal aux juridictions pour traiter les recours contre ces autorisations. Ce délai est fixé à 10 mois à compter de l’enregistrement de la requête. A l’issue de ce délai, en l’absence de décision rendue, le dossier est obligatoirement transmis à la juridiction supérieure. Il est fixé un délai supplémentaire de six mois, en cas de procédure de régularisation ordonnée par les juridictions, sur le fondement des articles L. 600-5-1 du code de l’urbanisme et L. 181-18 du code de l’environnement, à compter de l’enregistrement de la mesure de régularisation. Ce délai s’applique aux juridictions du fond, tribunaux administratifs et cours administratives d’appel, mais pas au Conseil d’Etat.

Le décret fixe également un délai de recours spécifique de deux mois pour toutes les autorisations concernées, notamment les autorisations au titre de la loi sur l’eau, dont le délai de recours est en principe de quatre mois. Il supprime enfin le caractère suspensif du recours administratif (recours hiérarchique ou recours gracieux).

Quels sont les points d’alerte pour les porteurs de projet ?

Les porteurs de projet doivent prendre garde, principalement, à la suppression du caractère suspensif des recours administratifs.

D’une part, le décret vise aussi bien les autorisations délivrées, lorsqu’elles sont contestées par des tiers (voisins, associations), que les décisions de refus opposées par l’administration. En conséquence, la suppression du caractère suspensif des recours administratifs s’applique également aux recours gracieux et hiérarchiques pouvant d’être introduits par les porteurs de projet contre les refus d’autorisations. Il ne s’agit pas d’une mesure concernant uniquement les tiers.

Par ailleurs, s’agissant des recours des tiers, la suppression du caractère suspensif du recours administratif n’a d’intérêt que si elle peut leur être opposée. Il faut donc s’assurer que les tiers ne pourront se prévaloir d’une information contraire, dans le cadre de la publicité données aux autorisations. Le point est particulièrement sensible pour les autorisations d’urbanisme, lesquelles doivent faire l’objet d’un affichage sur le terrain, comportant des informations obligatoires mentionnant, notamment, les « recours administratifs » pouvant être introduits (article A. 424-17 du code de l’urbanisme). De même, les arrêtés d’autorisation délivrés par l’administration (permis de construire ou décision de non-opposition à déclaration préalable) comportent des mentions type, qui évoquent la possibilité de recours administratifs. Il faut adapter ces mentions, en précisant que les recours administratifs ne sont pas suspensifs, au risque de permettre aux tiers de continuer à exercer de tels recours, ce qui neutraliserait l’un des intérêts de la réforme.

Quelles sont les limites de ce nouveau dispositif ?

Le décret a pour objet d’accélérer les procédures contentieuses, ce qui constitue en soi une mesure favorable, avec une réduction des délais de développement des projets.

Si nous manquons à ce stade de recul sur cette réforme, on peut néanmoins affirmer qu’elle nécessite une véritable accélération du délai de traitement des recours du côté des juridictions. Le délai maximal de 10 mois fixé par le décret constitue un effort significatif, au regard des délais moyens de jugement constatés dans les juridictions (plus de deux ans devant les tribunaux administratifs et environ 18 mois devant les Cours administratives d’appel). Le respect du délai maximal fixé dans le nouveau décret implique donc des efforts des juridictions, qui avaient d’ailleurs exprimé leur opposition à ce dispositif, à travers le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel consulté sur le projet de décret. Si les juridictions ne jouaient pas le jeu, le passage automatique à la juridiction supérieure pourrait conduire à ce que les dossiers soient progressivement renvoyés au Conseil d’Etat, sans avoir fait l’objet d’aucun jugement. Cela conduirait à un allongement significatif des délais pour obtenir une première décision du juge.


François Versini-Campinchi.

Image : LPA-CGR avocats

François Versini-Campinchi, associé au cabinet LPA-CGR avocats. Il intervient principalement en droit de l’urbanisme, droit de l’environnement et les installations classées, le droit électrique, ainsi que dans le droit des marchés publics et la rédaction de contrats complexes dans le domaine public. Il plaide également dans ces domaines devant les juridictions administratives. Il intervient dans le secteur des énergies renouvelables et plus particulièrement dans les secteurs solaire et éolien. Il aide ses clients – y compris les entreprises françaises et internationales, fonds d’investissement, banques – sur la phase de développement ainsi que le financement et l’acquisition de projets. Il a également développé une expertise spécifique sur les montages de projets énergétiques en Afrique.

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