NégaWatt présente son scénario énergétique pour 2050, sans nucléaire et à 100 % renouvelable

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L’association négaWatt a publié son 5e scénario de transition énergétique pour la France en 2030, qu’elle a présenté le 26 octobre dernier. A l’inverse des six scénarii élaborés par le gestionnaire de réseau RTE, dont cinq conservent encore une base nucléaire, celui de négaWatt est plus radical et envisage un futur énergétique sans nucléaire et à 96 % basé sur les énergies renouvelables. En effet, selon l’association, « la question du nucléaire ne doit pas seulement être envisagée dans sa dimension décarbonée », a souligné Yves Marignac, porte-parole de l’association, lors de la conférence de présentation. Les trajectoires de prolongement et/ou de renouvellement du parc nucléaire comportent en effet des vulnérabilités majeures qui questionnent leur faisabilité :

Les enjeux matières :
1. avec le choix du nucléaire, la France reste dépendante d’un approvisionnement en minerai brut d’uranium essentiellement importé du Kazakhstan, du Canada et du Niger, générant également des responsabilités quant aux impacts des
activités d’extraction de matière dans ces pays sur l’environnement et les populations locales ;
2. l’absence de solution de gestion des déchets nucléaires pose des questions éthiques et morales vis-à-vis des générations futures, mais également de sûreté et de coûts croissants à moyen terme si l’on poursuit l’activité nucléaire.

Les difficultés d’approvisionnement : les épisodes récents de mise à l’arrêt de plusieurs réacteurs liés aux canicules ou à des défauts génériques, les décalages systématiques des calendriers de maintenance et le nombre important d’indisponibilités fortuites remettent en question l’idée selon laquelle le nucléaire assurerait une production électrique disponible en continu.

Les réalités industrielles de la filière nucléaire : vieillissement des installations et saturation des capacités de stockage, notamment à La Hague, multiplication des défauts de fabrication et/ou de mise en œuvre des pièces ou du combustible… Plusieurs rapports, dont un de la Cour des comptes, ont mis en lumière les difficultés majeures que rencontre la filière industrielle nucléaire actuellement, notamment les difficultés à assurer la qualité des travaux dans un contexte de très forte sous-traitance et de découpage des activités. Ces réalités questionnent également la capacité de la filière à mener un programme d’ampleur d’installation de séries d’EPR y compris au-delà de la France.

Face à l’urgence climatique, un nouveau programme nucléaire serait beaucoup trop lent : alors que l’urgence climatique appelle à une réduction à très court terme des émissions de gaz à effet de serre, le choix d’une stratégie de décarbonation par une électrification massive soutenue par un programme de renouvellement du parc nucléaire se confronterait à une temporalité inadéquate. Les déboires du chantier de l’EPR de Flamanville,, dont la mise en service, initialement prévue en 2012, n’est toujours pas effective, questionnent quant à la capacité réelle de cette technologie à répondre à court terme aux enjeux du dérèglement climatique. La question reste la même pour les Small modular reactor (SMR), pour lesquels la filière française ne dispose à ce jour d’aucun prototype, sans possibilité opérationnelle de commercialisation avant 2035. On comprend dès lors que la priorité en termes de politique et d’investissement doit aller aux actions de maîtrise de la demande énergétique, limitant par la même occasion les montants à engager par la suite dans de nouveaux moyens de production.

D’un point de vue économique, le choix d’investir dans un nouveau programme nucléaire apparaît plus coûteux : les coûts affichés et espérés à terme par les producteurs de nouveaux réacteurs, qu’il s’agisse d’EPR ou de SMR, restent plus importants que les coûts des énergies renouvelables à perspectives de temps équivalentes. Enfin, une étude économique a récemment démontré qu’à demande équivalente, un système électrique fonctionnant avec des énergies renouvelables et des moyens de stockage serait optimisé, alors qu’un système avec nucléaire serait
plus coûteux.

Une politique industrielle hasardeuse : la réalité actuelle et historique est celle d’une industrie peu exportatrice, limitée par un marché nucléaire sans grande perspective à l’international et confrontée à une forte concurrence avec la Chine et la Russie. À l’inverse, certaines filières stratégiques, comme l’éolien offshore, présentent aujourd’hui des perspectives majeures de développement à l’international ».

La fin du nucléaire en 2045

De fait, le scénario propose une trajectoire de sortie maîtrisée du nucléaire avec 44,2 GW de puissance installée en France, contre 61,4 aujourd’hui. Une production annuelle de 244 TWh, soit 50 % du mix électrique, contre 67 % en 2020. Le dernier réacteur sera fermé en 2045, soit 10 ans après ce qui était proposé dans le scénario de 2017 : « Notre position sur le nucléaire n’a pas bougé, a justifié Stéphane Chatelin, le directeur de NégaWatt. Simplement, étant donné que peu de choses ont été faites au cours des cinq dernières années sur les chantiers de la réduction de la consommation électrique et du développement des énergies renouvelables, cela repousse mécaniquement l’échéance de fermeture du dernier réacteur ». Concrètement, aucun nouveau réacteur n’est prévu et l’EPR de Flamanville n’est pas mis en service. Cette décision repose sur la possibilité d’un mix énergétique à 96 % renouvelables d’ici 2050 et d’une politique globale de maîtrise de la demande en énergie.

L’évolution du mix énergétique d’ici à 2050.

Image : négaWatt

Le scénario appuie donc sa faisabilité sur un pilier important, celui de la sobriété énergétique, avec une consommation d’énergie primaire divisée par 3 d’ici à 2050. Cela grâce à un grand programme de rénovation performante des bâtiments en France, une baisse de 45% des émissions de GES du secteur des transports par rapport à 2019. Une baisse de 35% de la consommation en énergie finale est envisagée pour le transport de voyageurs et de marchandises par rapport à 2019.

47 GWc de puissance photovoltaïque

Tandis que l’éolien devient la première source d’électricité renouvelable en 2030, avec 45 GW de puissance installée contre 19 GW en 2021 et une production annuelle de 114 TWh, soit 23 % du mix électrique, NégaWatt prévoit pour le photovoltaïque un développement territorialisé. 47 GWc de puissance photovoltaïque sera installée en France en 2030, contre 12 aujourd’hui. La production annuelle s’établit à 58 TWh, soit 12 % du mix électrique. Les parcs au sol atteignent une puissance cumulée de 20 GW, occupant une superficie totale de 30 000 à 40 000 hectares principalement sur les friches industrielles, terrains pollués civils ou militaires, et terrains routiers, ferroviaires et aéroportuaires délaissés, et anciennes carrières. « Nous sommes partis pour cela d’une hypothèse de l’utilisation de 40 % du gisement identifié par l’Ademe, a indiqué Marc Jedliczka, responsable stratégie de NégaWatt. Nous avons fait le choix du sol pour des questions d’économies d’échelle et de gestion des coûts ». Dans le domaine agricole, un peu moins de 5 % des 400 000 à 450 000 exploitations disposent de hangars équipés de panneaux photovoltaïques. Près d’une maison individuelle sur dix arbore un ou plusieurs pans de toiture équipés de panneaux photovoltaïques, tandis que les bâtiments de plus grande taille voient eux aussi leurs toitures de plus en plus fréquemment équipées grâce aux fonds collectés localement par les groupes de citoyens soutenus par les collectivités territoriales qui ont à cœur d’atteindre les objectifs qu’elles ont adoptés dans le cadre de leurs PCAET (intercommunalités) et SRADDET (régions).

Pour y parvenir, NégaWatt propose trois mesures structurantes pour le prochain quinquennat :
1. Introduire dans les systèmes de soutien le principe d’une modulation territoriale, visant à garantir en tous points du territoire national une rentabilité suffisante mais non excessive, conformément aux lignes directrices de la Commission européenne. Elle passe, pour les tarifs d’achat garantis (systèmes de moins de 500 kW), par la prise en compte des conditions réelles d’implantation (ensoleillement, coût des travaux, disponibilité du foncier, portage par des non-professionnels, etc.) et pour les puissances plus élevées, par la régionalisation (ou la départementalisation) des appels d’offre en lien avec les futures Programmations pluriannuelles de l’énergie régionales.

2. Clarifier et simplifier le parcours des porteurs de projets, notamment non-professionnels de l’énergie (collectivité locales, PME, agriculteurs, particuliers, groupes citoyens), à travers : la mise en place d’un guichet unique pour l’ensemble des procédures administratives (autorisations d’urbanisme, accès aux mécanismes de soutien, demande de raccordement, etc.) ; la limitation du permis de construire aux systèmes de plus de 500 kW (déclaration de travaux en-deçà) ; la forfaitisation du raccordement au réseau basse tension sous un plafond en € par kW à déterminer ; la simplification et la clarification des conditions d’assurabilité des solutions de pose via leur reconnaissance comme techniques courantes.

3. Concevoir et mettre en œuvre un plan de formation pour la filière photovoltaïque : ce plan doit soutenir l’établissement d’une véritable filière de formation initiale et continue débouchant sur des diplômes reconnus à destination des futurs concepteurs, installateurs et exploitants de systèmes photovoltaïques ainsi que de tous les professionnels ayant à traiter du photovoltaïque dans leurs activités habituelles : métiers du bâtiment, gestionnaires de réseaux, agents de l’État et des collectivités locales, exploitants agricoles, etc.

Quelles différences avec les prospectives de RTE ?

« RTE, dont nous saluons par ailleurs la rigueur méthodologique et la qualité du travail qu’ils ont réalisés, a choisi de présenter les résultats en partant d’une seule trajectoire de demande et de comparer six scénarios d’offres différents, a analysé Yves Marignac, interrogé lors de la conférence sur les coûts entre nucléaire et renouvelables avancés dans l’étude de RTE. Ce choix est éminemment discutable car la trajectoire choisie par RTE est une trajectoire centrale (hausse de 35 % de la demande électrique), alors même que RTE a également travaillé sur une trajectoire plus basse, dite de sobriété, qui elle se rapproche énormément du niveau que nous avançons (550 TWh/an). Il manque donc l’analyse des six scénarios à partir de cette trajectoire basse ».

D’autre part, Yves Marignac regrette un problème de dissymétrie dans la construction des hypothèses dans les coûts utilisés pour les énergies renouvelables et les coûts du nucléaire. « Sur les coûts des renouvelables, RTE a fait une revue de littérature pour prendre en compte tous les facteurs possibles et intègre des fourchettes de coûts assez larges pour certaines filières. Pour le nucléaire, la seule valeur prise est celle fournie par le gouvernement de projection de coûts du futur EPR2. De fait, je pense que le résultat selon lequel les scénarios basés sur le nucléaire aboutissent à des coûts plus bas pourront être remis en cause ».

Enfin, selon lui, rapporter toute la comparaison à la question du coût est réductrice, car il existe de nombreuses inconnues sur la disponibilité à temps des futurs EPR en 2035, alors que l’on en est aujourd’hui juste à l’étape de définition du design. « Cette incertitude met le système électrique en stress et cela doit être pris en compte, a-t-il conclu. Pour nous, l’enseignement principal que l’on tire de l’étude de RTE est une confirmation selon laquelle la trajectoire la plus sûre et la moins coûteuse pour le mix énergétique en 2050 sera celle de la sobriété et du 100 % renouvelable, ce que nous préconisons également dans une analyse multicritères ».

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