[Bilan 2022] Le projet de loi d’accélération des EnR sème le doute dans la filière

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Le texte était attendu par la filière solaire, mais déçoit par son manque de réelles mesures de simplification. Publiée ce vendredi 16 décembre après une série de discussions (et d’amendements) à l’Assemblée nationale, la dernière version du projet de loi inscrit des principes intéressants pour la filière, mais saupoudre le millefeuille réglementaire de nouvelles mesures peu malléables, voire carrément restrictives pour les énergies renouvelables, alors même que l’Europe est en phase d’accélération pour leur déploiement.

Par ailleurs, la plupart des dispositions clés du texte nécessitent des décrets d’application pour entrer en vigueur. Un processus qui peut aller vite, mais qui peut tout aussi bien durer dans le temps, comme c’est le cas dans le cadre de la loi Energie Climat qui attend toujours certains décrets d’application trois ans après son adoption parlementaire. « Il n’y a pas de règle », résume Sébastien Canton, avocat spécialisé dans les énergies renouvelables, qui a accepté de revenir sur les points clés du texte avec pv magazine France.

Un vote solennel sur le projet de loi doit se tenir à l’Assemblée le mardi 10 janvier 2023. Après ce vote solennel, le texte partira en commission mixte paritaire (un processus législatif qui réunit sept députés et sept sénateurs) pour trouver un compromis sur les deux versions du projet de loi. Le texte élaboré par la commission sera ensuite soumis par le gouvernement pour approbation aux deux assemblées, probablement d’ici fin janvier ou début février.

Points positifs

D’une manière générale, le texte présente des avancées et ancre dans la loi certains principes importants. Si l’Assemblée a bien entériné l’inscription d’une présomption  « d’’intérêt public majeur » des projets d’installations d’énergies renouvelables dans la loi, cela reste toutefois une mesure à la marge selon Sébastien Canton. « En jurisprudence, on constate que cet argument (l’absence de justification d’une raison impérative d’intérêt public majeur) pouvait être assez facilement écarté dans la plupart des contentieux, en cas de débat sur l’octroi de la dérogation espèces protégées. Dans les recours, les moyens portant sur d’autres conditions d’octroi de la dérogation, en principe étayées par l’étude préalable environnementale, par exemple l’absence d’alternative satisfaisante ou a fortiori, le maintien des espèces protégées dans un état de conservation favorable, sont souvent plus épineux », explique l’avocat.

Il note toutefois que le projet de loi contient désormais une disposition intéressante pour faciliter l’accès des projets photovoltaïques au foncier. En effet, un nouvel article du texte prévoit l’établissement d’un plan de valorisation du foncier pour les entreprises publiques et les sociétés dont l’effectif salarié est supérieur à 250 personnes au 1 er janvier 2023, en vue de produire des énergies renouvelables. Concrètement il s’agit de recenser du foncier accessible via un outil de travail d’identification préalable. « En plus, c’est une disposition qui semble pouvoir s’appliquer sans décret », se réjouit Sébastien Canton. A date, le texte prévoit des objectifs quantitatifs et par type d’énergie ainsi qu’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi.

L’obligation de solariser les parkings est un autre point clé du texte. En l’état, il prévoit que « les parcs de stationnement dont la surface est supérieure à 1 500 mètres carrés sont équipés, sur au moins la moitié de cette superficie, d’ombrières intégrant un procédé de production d’énergies renouvelables sur la totalité de leur partie supérieure assurant l’ombrage ». Cependant, le texte prévoit des dérogations au cas par cas, des applications différées sur les parcs futurs et des considérations au mieux floues, au pire limitantes. Les obligations d’équipement PV ne seront par exemple imposées que dans des « conditions économiquement acceptables ». De plus, d’autres dérogations seront fixées par décret. « Le principe est bon, mais trop limité », résume Sébastien Canton.

Quid des « zones d’accélération » ?

Le texte veut également légiférer sur la mise en place de zones d’accélération (anciennement dénommées « zones favorables ») de la production d’énergies renouvelables. Il est toutefois compliqué pour la filière de comprendre la finalité des mesures concernées puisque celles-ci agissent principalement sur le code de l’énergie et non sur le code de l’urbanisme – auquel le solaire est soumis en premier lieu. « L’articulation avec les règles d’urbanisme n’est pas claire », regrette Sébastien Canton qui se pose la question des conséquences concrètes de ces zones. En effet, à part des avantages (à la marge) sur certains appels d’offres, le texte ne précise pas réellement les enjeux et les conséquences d’un développement des projets EnR sur ces zones.

« Il y a surtout un risque que les services instructeurs, donc les préfectures, bloquent certains dossiers de demande d’autorisations dans l’attente que ces zones soient définies », alerte l’avocat. Le problème, comme évoqué plus haut, c’est que cela peut prendre du temps. Une fois la promulgation effective de la loi, il faudra attendre les décrets ministériels. Seulement ensuite pourra débuter le processus de consultations publiques locales prévu par le texte pour chaque zone d’accélération. Sébastien Canton estime à 18 mois au moins la durée d’élaboration de ces « zones d’accélération ».

En effet, si le gouvernement est à l’initiative pour identifier des zones favorables avec un potentiel énergétique, il est ensuite du ressort des communes d’organiser une consultation publique pour valider le zonage. Les zones ne pourront pas être validées contre l’avis des élus locaux. « Et, pour le solaire, l’initiation du processus suppose l’établissement d’un « cadastre », dont les modalités d’établissement doivent être fixées par décret… », insiste l’avocat, qui craint la mise en retard de nombreux projets solaires en développement.

L’agrivoltaïsme

En ce qui concerne l’agrivoltaïsme, l’heure est aussi à la déception pour les développeurs du secteur. « Le texte est un nid à discussions, voire à contentieux », regrette Sébastien Canton qui explique que la définition intègre des termes flous qui pourraient être facilement exploités par les opposants à ces projets. Par exemple, la contribution « durable » de l’installation photovoltaïque à la production agricole exigée par le texte semble difficilement mesurable a priori puisque la plupart des projets agrivoltaïques intègrent une phase d’expérimentation et/ou ne disposent pas encore d’analyses des retombées à moyen et long terme.

« Pire, on ajoute des critères à des critères : les développeurs et les services instructeurs vont devoir travailler dessus avec le risque d’investir du temps pour des projets qui ne vont peut-être pas aboutir », explique Sébastien Canton. Paradoxalement, bien qu’elles introduisent de nombreux critères, les dispositions dédiées à l’agrivoltaïsme restent globalement assez vagues et là aussi, des décrets ministériels seront nécessaires pour les rendre applicables.

Autre particularité à souligner, pour pouvoir être considéré comme agrivoltaïque, un projet photovoltaïque devra être précédé de la solarisation d’au moins 40% de la surface des toitures des bâtiments d’exploitation existants, « sauf impossibilité technique » précise le texte. Par ailleurs, les dispositions du projet de loi sur l’agrivoltaïsme s’accompagnent d’autres modifications du code de l’urbanisme concernant l’usage des terrains naturels, ce qui devrait avoir un impact sur les procédures d’obtention des permis de construire.

Autre point d‘attention, les projets, hors agrivoltaïsme, qui voudront se développer sur terres agricoles ne pourront, eux, occuper que certaines zones à définir dans un document cadre par département. Là également, aux premiers critères – restrictifs – posés par le projet de loi, viendront s’adjoindre d’autres critères et conditions, par voie de décret.

Rendez-vous en janvier pour décrypter, par sujet, ce projet de loi.

Sébastien Canton intervient depuis quinze ans dans le secteur de l’énergie, en particulier dans les grands projets d’infrastructure de production et de distribution d’électricité et de gaz à partir de sources d’énergie renouvelables (éolien, photovoltaïque, hydraulique et biomasse/biogaz) et de l’efficacité énergétique des bâtiments. Au sein du cabinet BMH Avocats, il conseille et accompagne des producteurs et fournisseurs d’énergie nationaux et internationaux mais également des constructeurs et fournisseurs d’installations et d’équipements ainsi que des grands consommateurs publics et privés sur tous les aspects de leurs opérations.

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