Pourquoi le nucléaire n’est pas rentable ni durable par rapport aux EnR

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Trois chercheurs du Bureau européen de l’environnement (EEB), de la Stockholm School of Economics (SSE) et de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique (PIK) ont publié un article questionnant l’injonction politique à augmenter les investissements nucléaires, en particulier dans l’Union européenne (UE) et aux États-Unis (États-Unis). En effet, certains gouvernements font du développement de nouvelles capacités nucléaires des stratégies de transition énergétique en soi – un choix politique justifié par la volonté de décarbonner en masse et au plus vite les économies.

Toutefois, les chercheurs montrent que « en termes de coûts et de rapidité, les sources d’énergie renouvelables ont battu le nucléaire » et que « chaque euro investi dans de nouvelles centrales nucléaires retarde ainsi la décarbonation par rapport aux investissements dans les énergies renouvelables ». « Dans un monde qui se décarbone, les retards augmentent les émissions de CO2 », rappellent les chercheurs.

Le prix réel du nucléaire

Les projets de développement de nouvelles capacités nucléaires sont chiffrés en prévisionnel, mais les surcoûts sont importants. Par exemple la nouvelle estimations des coûts de construction du projet de Flamanville chiffre la centrale à 13,2 milliards d’euros contre 3,3 milliards validés initialement – « chiffres qui n’incluent même pas les coûts de financement, que la cour des comptes estime à 4,2 milliards d’euros contre 1,2 milliard d’euros initial », soulignent les chercheurs. Il en va de même dans d’autres pays, comme en Finlande où le projet de Olkiluoto (exploité depuis avril 2023) a été réévalué à 11 milliards d’euros au lieu de 3 milliards d’euros prévus initialement. Et ce n’est pas nouveau. En 2014 déjà, une étude sur les coûts comparatifs des infrastructures électriques avait constaté que 97 % des 180 projets d’investissement de réacteurs nucléaires analysés ont subi des dépassements de coûts, avec une augmentation moyenne des coûts de 117 % par projet.

« Le risque de défaut historiquement élevé se traduit par des taux d’intérêt plus élevés. Ces deux facteurs rendent la rentabilité des projets nucléaires très dépendante des conditions de financement. »

Si, en France, le gestionnaire de réseau français RTE estime qu’un système électrique comprenant du nucléaire sera légèrement moins cher qu’un système basé uniquement sur les énergies renouvelables en 2050, il faut toutefois tenir compte de son optimisme sur les projections d’investissement. « Dans ses calculs, RTE suppose que les coûts d’investissement pour les nouvelles centrales nucléaires sont inférieurs à deux tiers des coûts estimés des centrales à réacteur pressurisé européen (EPR) en Finlande et en France, expliquent les chercheurs. Cet optimisme quant à la réduction des coûts est contraire à l’expérience de l’évolution des coûts des anciennes séries de réacteurs nucléaires dans de nombreux pays du monde. »

Selon les chercheurs, au vu des derniers projets d’EPR et des tendances d’investissements, les coûts du nucléaire auront même tendance à augmenter paradoxalement au cours des prochaines années.

Le nucléaire se compare aux EnR et non au gaz et au charbon

« Malgré sa faible rentabilité, l’énergie nucléaire est présentée comme un bon investissement pour lutter contre le changement climatique. Cependant, aujourd’hui, la concurrence pour la rentabilité du nucléaire ne vient pas du charbon ou du gaz, mais des énergies renouvelables », résument les chercheurs.

Baisse du coût des énergies renouvelables.

Image : IRENA

L’étude questionne également la fiabilité du parc nucléaire, notamment au vu de la disponibilité dramatiquement basse des centrales françaises cette année – près de la moitié des 56 réacteurs nucléaires étaient fermés alors même que que l’UE se trouvait dans une période compliquée d’approvisionnement électrique avec des pics fréquents du prix de l’électricité au-dessus de 3 €/kWh.

La disponibilité (ou la pertinence de la disponibilité) de cette source électrique est aussi mise en question au regard des sécheresses de plus en plus fréquentes attendues dans les prochaines années, causant notamment des faibles débits des rivières et donc des problèmes associés de refroidissement des centrales nucléaires à court terme.

La question de la charge de base

« La flexibilité plutôt que la production de base est nécessaire pour équilibrer un système électrique basé sur les énergies renouvelables. Cependant, la montée en puissance d’une centrale nucléaire est lente et la composition du coût de l’énergie nucléaire ne correspond pas au rôle d’une technologie de secours pour les systèmes électriques à fortes parts d’énergie éolienne et solaire », s’inquiètent les chercheurs.

A grande échelle, ces systèmes (EnR + nucléaire) auront des prix de l’électricité bas pendant une grande partie de l’année, mais des prix très élevés pendant des centaines d’heures avec pour résultat, des revenus incertains et fortement variables. Selon les chercheurs, la technologie de secours dans un bouquet énergétique durable doit être une technologie de production électrique à faibles coûts d’investissement et à coûts variables élevé, soit l’inverse d’une centrale nucléaire qui présente des coûts initiaux très élevés. Aussi ils privilégieraient l’intégration de stockage sous forme d’hydrogène, en utilisant des batteries ou de l’hydroélectricité pompée, en se basant notamment sur l’analyse de Bloomberg qui rapporte un prix du stockage sur batterie en baisse de 1 220 $ à 132 $ par kWh entre 2010 et 2021. « Les consommateurs peuvent également contribuer à réduire les coûts du système en adaptant leur consommation d’électricité à la disponibilité des énergies renouvelables. »

Etoffant des arguments sur la problématique des déchets nucléaires, la difficulté de l’approvisionnement en matière première et sur le risque nucléaire en lui-même, les chercheurs concluent sur le temps long du développement nucléaire, un temps « que nous n’avons pas ».

« Avec suffisamment de temps, il peut être possible de construire une centrale nucléaire selon les normes de sécurité les plus élevées et de rester économiquement pertinent, même en tenant compte des coûts de stockage des déchets nucléaires pendant des milliers d’années. Cependant, la construction de centrales nucléaires nécessite de nombreuses années de planification et de construction et est coûteuse, alors que la crise climatique exige une urgence et nécessite des investissements si importants que la rentabilité est capitale. »

Aussi, même dans les hypothèses très optimistes, les nouvelles capacités nucléaires françaises ne pourront fournir de l’électricité qu’à partir de 2035, ce qui ne permettra pas d’être pertinent dans la lutte contre le réchauffement climatique, ni même de respecter les objectifs de l’UE.

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