[Série DOM-TOM] La Guyane, terre du solaire à puissance garantie

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Nichée entre le Suriname et le Brésil sur le continent sud-américain, la Guyane est une véritable « île électrique ». Son réseau, qui s’étend le long du littoral, est en effet caractérisé par l’absence d’interconnexion avec les pays voisins et par sa taille réduite. « Actuellement, le mix électrique guyanais est principalement porté par la production hydraulique », décrit Frédéric Moyne, PDG d’Albioma. Celle-ci est assurée par un seul barrage au fil de l’eau, celui de Petit-Saut, qui assure en moyenne 60 % de la production électrique, mais dont la part est fortement corrélée à l’aléa d’hydraulicité entre la saison des pluie et la saison sèche. Pour compenser ces fluctuations, la production est complétée par environ 35 % de moyens thermiques (centrales de Dégrad-des-Cannes et Kourou). Enfin, la part des énergies renouvelables biomasse et photovoltaïque s’établit à environ 5 % de la production. « Contrairement à d’autres départements d’Outre-mer, la Guyane est moins dépendante des énergies fossiles importées », souligne Frédéric Moyne.

Comme les autres DOM-TOM, la ZNI vise l’autonomie énergétique d’ici 2030. De plus, la règlementation thermique en Outre-mer impose au moins 50 % de la production d’eau chaude domestique par des énergies renouvelables. L’un des objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est donc de renforcer la présence du PV, notamment en remplacement des sources fossiles (diesel et fioul), sur ce territoire qui connaît un fort ensoleillement (1222 kWh/m²/an). La PPE, votée en 2017 et qui doit être révisée en 2022, fixe comme objectif d’ajouter 26 MWc de PV sans stockage et 25 MWc avec stockage d’ici à 2023, par rapport aux chiffres de 2015.

Photomontage de la future ombrière de parking de l’aéroport Félix Eboué construite par TotalEnergies.

Photo : TotalEnergies

Souhaitant profiter du développement des renouvelables dans la région, TotalEnergies a ainsi annoncé début juillet l’ouverture d’une agence à Cayenne et l’arrivée d’Olivier Wattez comme responsable de développement. Le groupe, qui exploite actuellement 4 MWc de toitures PV, installées sur trois grands lycées et deux hangars de la zone industrielle de Cayenne, a récemment remporté le projet de réalisation d’une centrale en ombrières de parking de 1,5 MWc qui sera installée à l’aéroport international Felix Eboué de Cayenne, avec une mise en service espérée fin 2022.

De son côté, le solariste Albioma a sécurisé 7 MWc sur les années 2021 et 2022 en toitures et au sol, en appels d’offres et obligations d’achat. Pour l’heure, le développeur possède deux centrales au sol, celle de Kourou de 12 MWc déployée depuis 2010 sur un terrain impropre à d’autres usages et celle de 4  MWc de Matouri située sur un terrain marécageux, soit 16 MWc en tout, pour 19 GWh/an produits.

La centrale de 4 MWc de Matoury d’Albioma. Mise en service en 2011, elle se situe sur un terrain marécageux sans conflit d’usage.

Photo : Albioma

Le solaire à puissance garantie

Parmi ses futurs développements, Albioma se positionne également sur le secteur du solaire à puissance garantie et développe plusieurs projets, qu’il compte concrétiser dans les deux ans. Dans le solaire à puissance garantie, le parc de batteries est en effet calibré pour être en mesure d’assurer au gestionnaire de réseau une disponibilité de l’outil de production sur 24 heures, et non plus d’injecter en fonction de la priorité de dispatch. « Ces projets innovants correspondent à une disposition spécifique de la PPE actuelle et répondent à un besoin du gestionnaire de réseau pour réduire l’intermittence de la production photovoltaïque, en garantissant une puissance sur 24 heures, explicite Frédéric Moyne. De plus, l’emplacement géographique de la Guyane se prête particulièrement bien à ce type d’expérimentations. En effet, comme elle est située très proche de l’équateur, il y a peu de variabilité saisonnière, avec des alternances jour/nuit à peu près identiques entre l’été et l’hiver. Cela facilite le dimensionnement de la puissance de batteries ».

Avec Toucan 1 et 2, installées à Montsinéry-Tonnégrande, EDF dispose d’une puissance cumulée de 10 MWc, avec stockage.

Photo : EDF Renouvelables

D’où la multiplication des dossiers qui arrivent à la CRE. C’est le cas par exemple du projet que mène EDF Renouvelables à Saint-Laurent-du-Maroni dans l’ouest. Pour venir en soutien de la fragilité du réseau dans cette partie de la Guyane, l’entreprise développe un parc de 40 MWc de panneaux photovoltaïques, dont la puissance serait (les dimensionnements sont encore en cours) garantie grâce à 8 MWh de moteurs fonctionnant à l’huile végétale et à 20 MWh de stockage par batterie, ce qui permet d’assurer une heure, deux heures ou quatre heures de puissance. L’installation, de 30 à 35 hectares, sera implantée sur un foncier délaissé agricole. Compte-tenu de l’effet d’échelle, EDF Renouvelables espère approcher les 110 euros/MWh pour ce parc, un prix actuellement obtenu sur des centrales de plus petite puissance sur le littoral.

Par ailleurs, TotalEnergies développe plusieurs projets de parcs au sol, dont un à puissance garantie dans la périphérie de Cayenne, en gré à gré avec la CRE. « Notre parc Maya garantira une puissance sur 24 heures, avec un pic de pointe de trois heures, le midi ou le soir, avec l’objectif d’atteindre un prix inférieur au coût moyen de production du parc électrique guyanais actuel », souligne Olivier Wattez.

Le système électrique doit répondre à la croissance démographique

Outre la stabilisation du réseau, ces centrales permettent aussi de répondre à la demande croissante en électricité, en particulier dans l’ouest autour de Saint-Laurent-du-Maroni à la frontière avec le Suriname. « La Guyane connaît un fort dynamisme démographique, observe Olivier Wattez. Depuis les années 2000, la population a été multipliée par deux et atteint actuellement près de 300 000 personnes, ce qui est un défi en termes de production électrique pour alimenter les activités résidentielles et économiques ». Outre 20 MWc de moyens de production à partir de sources renouvelables à puissance garantie qui doivent être répartis dans tout le pays, la PPE prévoit donc spécifiquement la mise en service de 20 MWc en puissance garantie dans l’ouest d’ici à 2023.

Carte de la Guyane

Carte : Hachette Tourisme

En dépit de sa taille – la Guyane est le plus grand des départements français d’Outre-Mer avec ses 83 800 km2 – elle connaît elle aussi des contraintes au niveau de la recherche de terrains disponibles pour le PV, comme c’est le cas dans tous les DOM-TOM. En effet, tout le sud est couvert par la forêt primaire, loin des lieux d’habitation et de consommation. « L’activité humaine se concentre majoritairement sur la bande littorale, d’où le fait que nous privilégions le développement de parcs soit sur des zones industrielles (carrières, décharges), soit en couplage avec une activité agricole », assure Frédéric Moyne.

Solariser les régions isolées

Mais la bande littorale n’est pas la seule à faire l’objet de projets de solarisation. EDF Renouvelables a en effet obtenu récemment deux permis de construire portant sur la Guyane de l’intérieur. « Le premier se situe à Maripasoula, un village de 10 000 habitants dans les terres à la frontière avec le Suriname qui connaît un fort développement démographique, notamment en raison de l’immigration, souligne David Augeix, directeur régional Sud et Outre-Mer de EDF Renouvelables. Dans ces régions isolées, qui ne sont pas raccordées au réseau principal qui longe la bande de littoral, les populations s’approvisionnent à partir de micro-réseaux fonctionnant au fioul ou au diesel. L’objectif de la Collectivité Territoriale de Guyane est donc de couvrir les besoins croissants en électricité par du renouvelable ». L’énergéticien installera donc une centrale au sol de 1,2 MWc avec stockage, dont la construction se fera en 2022. Pour prévoir l’accroissement des besoins, l’adjonction de 4 MWc d’ici à 2023 ou 2024 est d’ores et déjà prévue.

La région du village de Camopi est accessible par pirogue, par hélicoptère ou par avion.

Photo : Parc national guyanais

De l’autre côté du territoire, à la frontière avec le Brésil, le village de Camopi connaît les mêmes conditions d’isolement et de production d’électricité d’origine fossile et EDF Renouvelables y construira une centrale au sol de 1 MWc. « Dans ces deux cas, la construction dans ces régions très isolées est un défi, ajoute David Augeix. L’acheminement des panneaux photovoltaïques et du matériel se fait par pirogue pendant la saison des pluies, puis la construction se fait pendant la saison sèche ». En outre, pour plus de réactivité en cas de panne, toute l’installation électrique est redondante. Par conséquent, compte-tenu de ces contraintes, le prix de production du photovoltaïque dans ces zones est, selon EDF Renouvelables, de l’ordre de 350 à 400 euros/MWh. « Cela reste toutefois inférieur au prix des carburants fossiles qui doivent être amenés chaque semaine par bidons dans des pirogues », tempère David Augeix. Pour la construction de ces installations, comme des autres sur le littoral, le groupe fait appel à des entreprises locales, comme c’est le cas avec Solamaz, qui connaît bien ces sites isolés pour y déployer des lampadaires solaires, et qui réalise la maîtrise d’œuvre des centrales de Maripasoula et de Camopi.

A venir la semaine prochaine : la Martinique

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