Le 10 février dernier, le président Macron annonçait à Belfort, sa vision de la trajectoire énergétique globale française à horizon 2050. En complément de la relance de la filière nucléaire française, qui a déjà fait les gros titres depuis, le Président y réaffirmait son souhait de développer massivement le renouvelable, « seul moyen de répondre [aux besoins énergétiques] immédiats [de façon] rentable et compétitive », en s’appuyant principalement sur les sources intermittentes. D’ici 2050, la puissance du parc solaire français devrait être multipliée par plus de 10, pour dépasser 100 GWc, alors que la capacité éolienne terrestre pourrait doubler pour atteindre 37 GW sur cette même période. L’éolien en mer devrait également connaître un vrai décollage puisque la France ambitionne de développer et construire 40 GW avant 2050.
Depuis Belfort, l’invasion de l’Ukraine et la pluie de sanctions internationales qui s’est abattue sur la Russie n’ont fait qu’accentuer la nécessité pour la France, et plus largement l’Europe, d’œuvrer vers davantage d’autonomie et de sobriété énergétique. Le 8 mars, la Commission européenne dévoilait son plan, baptisé REPowerEU, pour tenter de mettre un terme aux importations de gaz et pétrole russes. L’un des 4 axes principaux de ce plan repose, là encore, sur le développement des énergies renouvelables.
L’inévitable pénétration des énergies renouvelables intermittentes dans le mix électrique européen pose aujourd’hui un défi majeur et grandissant quant à la stabilité du réseau. En Europe, le développement des énergies renouvelables s’opère à une vitesse bien supérieure à la croissance de la consommation électrique – en France, cette dernière n’augmente d’ailleurs plus depuis les années 2005-2010. L’émergence des renouvelables pénalise doublement les filières électriques conventionnelles pilotables – désignant communément les centrales gaz, pétrole et charbon (le nucléaire n’étant pilotable que sur des temps longs car inertiel) :
- Avec une consommation électrique qui reste stable dans le temps, le raccordement de centrales intermittentes – dont le coût marginal de production d’électricité est nul – semble avoir entraîné l’arrêt progressif de centrales pilotables afin de permettre au réseau d’absorber la nouvelle production électrique renouvelable.
- Face aux aléas météorologiques des sources électriques intermittentes, ce sont les centrales de production pilotables qui, avec les importations électriques, doivent aujourd’hui jouer le rôle de tampon : en temps normal, les centrales à gaz voient leur production bridée pour être capables, lors des jours sans soleil et sans vent, de prendre le relai sur les renouvelables en produisant davantage.
Le développement de l’éolien et du solaire s’est donc d’abord fait au détriment d’autres énergies qui étaient pilotables. Les gestionnaires de réseaux européens, chargés d’assurer à tout instant et tout au long de l’année l’équilibre offre-demande, jonglent désormais entre d’un côté, une consommation électrique variable ponctuée par des pointes de consommation électrique en période de canicule et de grand froid hivernal et de l’autre, des moyens de production électrique de plus en plus intermittents, donc de moins en moins prévisibles.
A plus long terme, les réseaux électriques vont devoir innover pour s’équiper de ressources de flexibilité, afin de maitriser et moduler cette production électrique intermittente grandissante. Demander aux centrales pilotables d’assurer la stabilité du réseau, comme cela est le cas aujourd’hui, n’apparait peut-être pas comme la meilleure option. Beaucoup de solutions alternatives, complémentaires entre elles, semblent aujourd’hui plus adaptées pour cette fourniture de services de flexibilité. L’adaptation des comportements de consommation électrique avec l’effacement et la sobriété énergétique est une première solution évidente ; mais l’innovation technologique avec le stockage d’électricité (batteries lithium-ion, power-to-gas hydrogène etc.) en est une également. Chaque technologie de stockage dispose d’un cas d’utilisation bien précis, principalement défini par sa rapidité d’activation ainsi que son temps de charge (ou de décharge). Dans ce paysage, le stockage avec batteries lithium-ion se distingue comme la technologie la plus mature pour répondre aux besoins à très courte échéance du réseau électrique. Ces actifs ont la particularité d’être activables en moins de 15 secondes par l’opérateur du réseau mais limités par un temps de charge, le plus souvent d’une heure ou deux (et allant jusqu’à 4 heures). Ils peuvent donc répondre très rapidement aux déséquilibres ponctuels du réseau, à la hausse comme à la baisse de fréquence, en stockant momentanément ou en injectant de l’électricité. Le temps de charge relativement court des batteries lithium les rend cependant inadaptés pour répondre aux déséquilibres sur des temps longs, été-hiver par exemple, où d’autres technologies comme les Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP) ou le stockage hydrogène seront plus adaptées.
En France, la mise en place de ces nouvelles ressources de flexibilité s’accompagne par l’ouverture de nouveaux marchés pour rémunérer leurs services. Aujourd’hui, les projections de variations de prix de prix de l’électricité intraday à long-terme rendent improbable la bonne rentabilité des actifs lithium-ion seulement sur la base d’une stratégie d’arbitrage/achat-vente d’électrons sur le marché spot : l’actif achète et stocke de l’électricité lorsque son prix sur le marché est faible – au milieu de la journée lorsque le soleil bat son plein par exemple – puis la revend et l’injecte sur le réseau quand son prix remonte – comme le soir lors du pic de consommation des foyers au retour du travail.
En France, deux marchés alternatifs permettent aujourd’hui au stockage lithium-ion d’être davantage rémunéré : le marché de capacité et la régulation de fréquence.
- Le marché de capacité permet à l’installation de stockage de s’engager à ajuster son comportement selon les consignes du gestionnaire de réseau lors des jours de pointe de consommation dans l’année (appelés « journées PP2 » par RTE), en contrepartie d’une rémunération annuelle. Cette rémunération est définie en amont selon un système d’enchères organisées par EPEX SPOT. Bien que l’occurrence des journées PP2 soit inconnue pour l’année à venir au moment de l’enchère, il est entendu (i) que le nombre total de ces journées PP2 ne pourra dépasser 25 dans l’année et (ii) que le gestionnaire de réseau annoncera ces journées la veille pour le lendemain.
- Le marché de régulation de fréquence consiste, quant à lui, à mettre ponctuellement à disposition l’installation de stockage pour un créneau de temps spécifique défini à l’avance (de 4 heures pour la Frequency Containment Reserve/FCR et de 1 heure pour l’automatic Frequency Restoration Reserve – aFRR). Des enchères sont organisées quotidiennement sur la plateforme Regelleistung, également la veille pour le lendemain – de sorte à permettre aux installations engagées sur le marché de capacité de participer – afin définir la rémunération associée. Entre janvier 2021 et février 2022, les prix FCR se sont avérés très variables, pouvant aller de 0 à 1 600€ par MW pour 4 heures de mise à disposition.
Au-delà de ces marchés déjà existants, la tendance est à la multiplication des sources de rémunération pour le stockage lithium-ion, à l’image de l’ouverture européenne de la réserve secondaire/aFRR à cette classe d’actifs (projet PICASSO), des appels d’offres expérimentaux flexibilités en cours de mise en place par RTE ainsi que des appels d’offres territoriaux proposés par Enedis en France, les deux derniers visant à apporter une solution locale pour décongestionner les nœuds d’inflexibilité du réseau (bien que l’applicabilité aux batteries des appels d’offres territoriaux d’Enedis reste en l’état incertaine).
Malgré leur nombre, ces nouveaux marchés restent très volatiles et difficilement lisibles pour une classe d’actifs infrastructure de long terme. Contrairement aux projets d’électricité renouvelables qui se rémunèrent via un contrat d’achat d’électricité, souvent au prix fixe convenu à l’avance, les actifs de stockage lithium-ion en France sont soumis à des risques de marché importants : la tarification des services de flexibilité découle systématiquement d’une logique d’équilibre offre-demande. Que ce soit par l’intermédiaire des marché spots de l’électricité ou par l’organisation d’appel d’offres annuels ou quotidiens, les différentes sources de chiffre d’affaires de ces actifs sont, par essence, volatiles et difficilement prévisibles à long terme.
Cette volatilité a grandement ralenti la financiarisation de cette classe d’actifs par l’univers des grands prêteurs long terme de la transition énergétique française, freinés par ces risques de marché importants. En 2019, RTE apportait une première réponse au problème en organisant la première vague d’appels d’offres de long terme (AOLT), censée offrir de la visibilité aux opérateurs d’effacement et de stockage sur le marché des capacités en garantissant un prix fixé à l’avance pendant 7 ans. Bien qu’allant dans le bon sens, l’introduction de ces nouveaux appels d’offres ne répondait que partiellement au besoin de prédictibilité des prêteurs, le marché des capacités dépassant rarement 25% de l’assiette totale du chiffre d’affaires d’un projet de stockage lithium-ion.
Dans ce contexte, les développeurs qui souhaitent rapidement se positionner sur le marché de la flexibilité lithium-ion sont contraints d’assumer des choix forts :
- Certains sont convaincus de la pertinence d’un modèle stationnaire de grande échelle. Des batteries autonomes de grande taille sont raccordées au réseau et tirent leur rentabilité de prestations de flexibilité visées dans les mécanismes de marchés décrits précédemment. Ces actifs sont le plus souvent financés intégralement sur fonds propres par leur développeur, qui supportent l’intégralité du risque pour le moment.
- D’autres font le pari de l’hybridation décentralisée, couplant localement leurs centrales de production d’électricité renouvelable avec des batteries lithium-ion. Cette configuration permet aux centrales électriques de lisser l’intermittence de leur production électrique en s’appuyant sur le stockage. Ce second modèle semble aujourd’hui rassurer les banques qui, déjà familières avec les centrales renouvelables, proposent d’ores et déjà des financements adaptés.
Le besoin de flexibilité du réseau est aujourd’hui une vraie problématique, pour laquelle les réponses sont multiples. Parmi celles-ci, les batteries lithium-ion constituent une des solutions adaptées aux déséquilibres de court-terme pour assurer la stabilité structurelle du réseau. Le décollage de la filière française lithium-ion, pressenti depuis quelques années déjà, semble ralenti par le manque de visibilité sur les rentabilités des différents marchés de flexibilité. Avec la multiplication du nombre de projets et d’acteurs impliqués et la maturation des différents marchés de la flexibilité, la filière lithium-ion devrait continuer de se développer et se structurer de sorte à offrir un cadre de référence adapté à l’intervention des tiers-financeurs. Tous les intérêts semblent alignés en ce sens : les développeurs et les prêteurs y trouveraient un relai de croissance là où le gestionnaire du réseau diminuerait ses coûts d’équilibrage.
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